Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 3.djvu/242

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dommages-intérêts à leurs agens, mais je n’ai fait que me référer à l’article 1780 du Code civil. Il y a autre chose. Les Compagnies de chemins de fer ont le droit incontestable de remplacer les ouvriers qui se mettent en grève. » On le voit, la pensée de M. Barthou et du gouvernement auquel il appartenait n’est pas dans le seul membre de phrase qu’a perçu l’appareil auditif de M. Monis. Les Compagnies pourraient demander des dommages-intérêts aux grévistes ; elles ne le font pas parce que le moyen serait illusoire ; les ouvriers ne pourraient pas payer de dommages-intérêts, et si les Compagnies opéraient un prélèvement sur la Caisse de retraites, on crierait à la barbarie. Alors, comment donner un caractère effectif à la responsabilité de l’ouvrier ? Le seul moyen est, dirons-nous la révocation ? non, le mot serait impropre ; on parle beaucoup de révoqués, il n’y a pas d’ouvriers révoqués, il y a des ouvriers remplacés : le seul moyen est de ne pas reprendre ceux qui sont librement sortis et de conserver ceux qui sont entrés.

On s’est déchaîné contre les Compagnies ; on leur a reproché non seulement d’avoir laissé sur le pavé de pauvres ouvriers qui étaient souvent des pères de famille, mais encore d’avoir confisqué les sommes que, à force d’économie, ils avaient versées peu à peu dans la Caisse des retraites. C’est un thème qui prête à l’amplification. M. Camille Pelletan, pour ne citer que lui, y a déployé encore plus de « bonté » que M. Monis. Les Compagnies se sont défendues contre l’accusation. Elles ont expliqué qu’en ne réintégrant pas un ouvrier qui les avait quittées, elles lui restituaient toutes les sommes versées pour sa retraite. La Compagnie d’Orléans a même ajouté que, chez elle, les retraites étaient alimentées par ses propres versemens et que l’ouvrier, qui n’en fait aucun, recevait, en cas de rupture du contrat, la totalité de ceux qui avaient été faits pour lui. Il nous semble qu’il y a là plus de « bonté » réelle que dans les déclamations dont on nous assourdit. Mais enfin d’autres intérêts sont en cause que ceux des ouvriers ; il y a ceux du public, ceux de tout le monde, et sur ceux-là aussi doit s’exercer la vigilance des Compagnies, parce que leur responsabilité y est engagée. On les menace, on leur dit que, si elles persistent dans leur intransigeance, il y aura une grève nouvelle. Leur conviction est que c’est si elles cèdent sous l’intimidation qu’il y aura une grève nouvelle et prochaine, et qu’en attendant, elles ne seront plus sûres de la discipline de leurs agens. Les journaux racontent que les cheminots réintégrés par l’État se conduisent comme des modèles. Tant mieux : l’épreuve, toutefois, pour être