Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 3.djvu/292

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dominantes, des idées maîtresses de Fogazzaro. D’abord l’idée d’ascension, qui lui est si chère, en sociologie, en psychologie, en morale, en philosophie de l’histoire, dans tous les ordres de la connaissance. Il y a une ascension très marquée, très voulue sans doute, et, si elle ne l’a pas été, elle n’en est que plus significative, dans cette trilogie. Franco est un hésitant, quoique plein de foi, mais « la foi qui n’agit pas est-ce une foi sincère ? » Franco est un indécis ou tout au moins un intermittent. Son fils Pierre est un chrétien ardent et un idéaliste ardent, qui n’a pas encore rompu tous les attachemens de la terre et du monde ; c’est un Polyeucte avant l’acte IV. Pierre devenu Benedetto est un saint et un martyr qui brise les idoles et qui est écrasé sous leurs débris. Nul doute que Fogazzaro n’ait vu là le symbole de la « marche à l’étoile » de l’humanité tout entière.

Autre idée : la fécondité de la mort. C’est la mort de sa petite fille très chérie, qui fait du nonchalant Franco un homme énergique et stoïque prêt à se jeter aux combats et à mourir pour la délivrance et pour la régénération de sa patrie. C’est la mort de sa femme qui fait de Pierre Maironi un parfait chrétien prêt à devenir un saint, un apôtre et un martyr. C’est la mort de Pierre Maironi devenu Benedetto qui convertit l’inconvertissable jusque-là Jeanne Dessales. Il y avait quelque chose déjà de cette idée, mais plus confusément, dans le Mystère du poète et même dans Malombra et même dans Miranda. Fogazzaro n’a pas été le « sombre amant de la mort, » comme Léopardi, mais il a été le respectueux et pensif disciple de cette donneuse de grandes leçons.

Remarquez encore quelque chose de très particulier à Fogazzaro et que je ne m’explique guère, ce pourquoi j’en donnerai sans doute plusieurs explications. Dans ces trois romans, presque dans tous, du reste, non pas peut-être aux yeux de tous les lecteurs, mais certainement au jugement de Fogazzaro, les hommes sont supérieurs aux femmes, et les femmes pâlissent à côté d’eux. Franco est, déjà, un très bel idéaliste, Franco est religieux, Franco a une idée, au moins, très juste et très haute de la vertu pure. Sa femme, — et que Fogazzaro insiste sur ce point ! — n’a que l’idée et le sentiment de la justice. Elle les a très fort ; mais elle ne pousse pas plus loin. Les discords entre elle et Franco viennent de là. Les reproches, justes du reste, le plus souvent, que fait Louise à Franco partent toujours de