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la passion du devoir ; il devait, laissant un peu de côté, pour une fois, ses préoccupations religieuses, se plaçant comme en pleine humanité, écrivant et pour les âmes religieuses et pour toute ? les âmes à la fois tendres et pures, écrire le poème de la conscience ; et c’est ce qu’il a fait dans Daniel Cortis.

Dans Daniel Cortis, avec beaucoup de soin, un peu trop peut-être, Fogazzaro a accumulé toutes les excuses de la passion, toutes les raisons que la passion peut presque légitimement se donner pour s’obéir à elle-même et il a conclu pour le devoir et présenté des héros qui concluent pour le devoir et qui l’embrassent avec un emportement de martyrs. Et en même temps il a doué d’une telle vie ses personnages qu’on ne peut l’accuser d’avoir habillé des idées en être humain, et que nous avons la sensation que ces martyrs de la passion et ces héros du devoir ont existé, existent encore et, quelques souffrances qu’ils aient endurées, se trouvent naturels d’être ce qu’ils sont.

L’effet est très grand, l’autorité prise sur nous par les personnages très forte, la pénétration de la leçon morale extraordinaire, la suggestion très puissante et très prolongée.

Daniel Cortis est un homme de trente ans, très intelligent, très droit et très brave, catholique progressiste, — mais cela n’aura pas d’influence sur l’action et pour ainsi dire ne fera partie du roman que pour mémoire, — député au Parlement Italien. Il a eu pour amie d’enfance Hélène, qui s’est mariée depuis et qui a conservé pour Daniel une affection qu’elle croit, qu’ils croient tous deux, fraternelle. Et rien n’est fait avec plus d’art, rien n’est mieux venu, en tout le détail, que cette première partie du roman, où tous les traits d’affection amicale sont pour les deux jeunes gens, très sincères, des traits d’amitié et sont pour nous, si nous sommes attentifs, des traits d’amour. Les plus habiles peintres de l’amitié amoureuse sont restés très loin de cette adresse de peintre, de cette perspicacité de psychologue et de cette sincérité intelligente d’homme qui, très évidemment, ou je serais bien étonné de m’y être trompé, « a passé par là. »

Or, le mari d’Hélène est un bandit. Joueur, écornifleur, escroc, brutal du reste et pour mieux dire simple brute et non pas même brute vernie, il n’est bon absolument qu’à être mis aux galères, s’il y avait une justice dans le royaume. Les circonstances (une maladie de Daniel) rapprochent Daniel