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voyageur ou tonne transportés, soit une indemnité par kilomètre de train. L’excédent sert à rémunérer le capital d’établissement fourni par la Compagnie ou par l’État. Enfin, l’on procède, s’il y a lieu, au remboursement des avances de l’État, à la constitution d’un fonds de réserve, au partage des bénéfices par moitié entre l’État et la Compagnie. Les rapports du concédant et du concessionnaire sont toux de véritables associés qui se sont entendus pour donner aux bénéfices l’emploi le plus propre au développement de l’entreprise.

Le « cheminot » de Tunisie a de nombreux traits de ressemblance avec son camarade de la Métropole. Comme lui, il a son Syndicat, sa Fédération, ses cahiers de revendications ; comme lui, avant lui, il a eu sa grève. C’était en mars 1909, un an et demi avant la tentative de grève générale des réseaux français, mais en pleine effervescence de la première grève des postes. La Tunisie est loin ; l’heure en France était assez grave, et cette grève africaine de cheminots, annonciatrice des journées d’octobre 1910, passa presque inaperçue. Elle éclata assez inopinément pour des questions de salaires et de discipline générale ; elle se termina par une sorte de transaction : la Compagnie Bône-Guelma accepta le relèvement des petits salaires, mais conserva intacts ses pouvoirs de discipline. Elle avait duré quinze jours, pendant lesquels avait circulé un seul train par ligne. Il y eut force meetings, quelques manifestations dans les rues de Tunis, une grande surexcitation dans les esprits, les habituelles diatribes contre l’ « actionnaire exploiteur » et le « dirigeant grassement rente, » dont l’unique préoccupation, aux yeux du prolétaire, sera éternellement de « sabler le Champagne toute l’après-midi du dimanche en cabinet particulier ; » mais au total, point de sabotage : le mot existait, la chose n’était pas dans la pratique. Ce fut une grève pacifique et qui n’eut pas de lendemain. Quand, en octobre dernier, la nouvelle, ou mieux le mot d’ordre de la grève métropolitaine toucha Tunis, il trouva des esprits rassis, qui pesèrent froidement les inconvéniens d’une imitation moutonnière, décidèrent de continuer le travail et tinrent parole.

La masse des cheminots, par son caractère bigarré, atteste