Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 3.djvu/415

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

oublié. Elle vit « avec une fermeté et tranquillité d’urne dont le Corse ne jouira jamais ! »

Si elle garde en rade un vaisseau anglais, c’est pour sauver sa famille, au moins une partie. La corruption du pays, la fin déplorable du duc d’Enghien, la haine prononcée contre eux rend cette station précieuse et elle se méfie de « Sa Majesté Corsaire » qui l’a menacée de lui faire demander l’aumône avec ses enfans. Gallo l’engage à moins parler, à moins s’irriter. « Pour mes sarcasmes et paroles, répond-elle, assurez l’Empereur des Gaules que je ne proférerai plus son sacré nom ni en bien ni en mal, et quand les voyageurs étrangers me raconteront une foule d’anecdotes, plus ridicules les unes que les autres, je me tairai… » Vaines promesses ! Sa fougue, sa violence naturelles l’emporteront et elle prononcera contre Napoléon des paroles irréparables. Quoiqu’elle ait juré « de ne jamais desserrer les dents sur sa sacrée personne, » elle ne résistera pas au plaisir de le mordre et de le déchirer à l’occasion. Et cependant, elle vante son sang-froid et elle se défend d’être « une énergumène enragée. »

Elle sait qu’Alquier a exigé le départ du cardinal Ruffo, du prince de Castelcicala, du prince de Luzzi, ses ministres. Le Roi fera ce qu’il voudra. Elle lui remettra les correspondances et ses notes. Il les lira ou en fera des papillotes… « Assurez bien à votre Empereur de nouvelle fabrique que moi qui suis de vieille fabrique, j’ai de l’honneur et de l’âme ; que le seul désir du bien du Roi, de mes enfans, de l’État me tient au cœur ; que je n’ai ni haine, ni rage, mais que, dégoûtée de tout, je lui cède le champ de bataille ! » Elle y demeure encore, malgré ses protestations, et Talleyrand lui fait dire que Napoléon en a assez de ses armemens secrets, de ses préparatifs et de ses critiques, et qu’elle a tort de fermer les yeux sur l’abîme creusé par elle-même sous son trône. La nature vient joindre ses violences aux menaces de guerre qui s’élèvent contre Naples. Un tremblement de terre effroyable renverse huit cents maisons et quarante églises. Le château de Caserte est presque en ruines ; la famille royale a dû fuir le Palais. Les habitans passent les jours et les nuits sur les places publiques et dans les chemins voisins de la ville. Quel mal nouveau pourra donc s’ajouter à tous les maux dont le ciel accable cet infortuné pays ? La Reine proteste de sa neutralité absolue, mais réclame toujours le départ