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En vain le roi Léopold s’inquiète-t-il d’un remaniement possible de la carte européenne : pour une fois, Victoria reste indifférente aux traités de 1815 et aux craintes des Allemands ; Ce n’est pas elle, c’est Palmerston qui conclut à l’inutilité, — étant donné le prix auquel il faudrait les acheter, — d’une libération de la Finlande et de la Pologne. A la veille de la réunion du Congrès, le 15 février 1856, elle écrit directement à Napoléon III pour lui signaler les dangers que ferait courir à l’Europe et aux alliés une paix précipitée et désavantageuse. Si, le 6 mars, elle accepte en principe une négociation, c’est « avec la plus grande répugnance. » Et le jour de la signature, elle ne peut s’empêcher de déclarer à Napoléon III, dans ce français dont elle a le secret, qu’elle partage « le sentiment de la plupart (sic) de mon peuple, qui trouve (sic) que cette paix est peut-être un peu précoce. »

Ce jour-là l’héritière des George fut plus belliqueuse que le neveu de Napoléon Ier.

Telle elle a été, telle elle est restée. Certes l’âge a pu atténuer l’ardeur de ses enthousiasmes militaires. Il est certain que Victoria n’a assisté qu’avec des sentimens de lassitude et de tristesse à la guerre Sud-Africaine ; mais, malgré l’insuffisance des documens publiés, on peut affirmer dès maintenant que, dans le conflit anglo-russe de 1878, elle a été favorable à la politique belliqueuse[1] de lord Beaconsfield, et dans les affaires égyptiennes elle a été hostile aux temporisations du pacifique Gladstone.

Le soir de Tel-el-Kébir, le cœur de la grand’mère bat avec autant d’ardeur, qu’au lendemain d’inkermann. Et cependant trente années, avec leur long cortège de fatigues et de deuils, ont passé.

Le 21 septembre 1882, Victoria écrit :


La Reine remercie lord Cranbrook, chaleureusement, pour son aimable lettre, à l’occasion de la brillante et décisive victoire de Tel-el-Kebir, à laquelle son fils bien-aimé assista sain et sauf.

Ce fut un moment d’anxiété terrible pour sa jeune femme et pour moi. Nous en subissons maintenant le contre-coup : car l’incertitude et l’attente,

  1. C’est lord Esher qui s’en porte garant dans sa communication sur le Journal inédit de la Reine.