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peuvent. Dans les premiers efforts du langage, la bouche reproduisait une voyelle et la complétait au petit bonheur. De même ici, un premier coup de crayon à la prétention d’indiquer, soit telle partie d’un objet, soit une tête, soit un mur de maison, et ensuite la main remue comme la langue gazouillait : ce sont des lignes plus ou moins conventionnelles ; elles sont censées être en réalité ce que l’enfant veut qu’elles soient. C’est là d’ailleurs le premier de tous ses jeux et particulièrement de ceux où, disposant d’objets tout faits, il n’a plus qu’à régler la mise en scène, en prêtant aux choses une vie, des caractères, des fonctions, des services entièrement imaginaires. L’idée marche en avant ; la matière suit comme elle peut, mais il n’importe !

Tout ici mérite d’être analysé. Les jeux des enfans commencent par être et restent souvent un simple exercice, une simple satisfaction donnée à un impérieux besoin de remuement et d’agitation. S’ils s’en tenaient là, on les verrait donc remuer, courir, crier, faire semblant de se battre, et rien de plus. Mais ils cherchent assez vite à allonger et à diversifier ces premiers jeux par l’emploi de certains engins qui leur demandent quelque attention, quelque adresse, un certain art enfin de voir les difficultés et de les vaincre. Ce penchant est universel : on le retrouve en quelque race que ce soit. Un missionnaire protestant français de la première partie du siècle dernier, Casalis, arrivait au Sud-Est de l’Afrique dans un groupe de Cafres, appelé les Bassoutos ; et il nous donnait de ces peuplades une description demeurée d’autant plus intéressante que, depuis ce temps-là, tout a prodigieusement changé dans ces régions. À l’époque de sa mission, Casalis pouvait encore dire[1] : « Lorsque nous pénétrâmes dans leur pays, les Bassoutos n’avaient jamais eu de rapports avec des populations d’origine différente de la leur. Ils avaient conservé leurs usages et leurs idées dans toute leur fraîcheur primitive. » Or, là, les fillettes sautaient à la corde et jouaient aux osselets, tandis que les garçons faisaient la petite guerre. Casalis nous esquisse encore ce petit tableau.

« Aussi longtemps qu’il garde ses dents de lait, l’enfant s’ébat du matin au soir et n’a rien autre chose à faire qu’à se développer et à grandir de son mieux. Nous avons trouvé chez ces petits désœuvrés plusieurs des jeux de notre enfance. Ainsi

  1. Comme Moffat le disait plus haut des Bushmen.