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Ce délai qu’apportèrent les voisins de l’Ethiopie à la ratification du fait accompli par les conquêtes des lieutenans de Ménélik montre que, longtemps, les politiques anglaise et italienne, ou du moins leurs agens d’exécution en Afrique, espérèrent que cet agrandissement de l’Ethiopie jusqu’à ses frontières naturelles n’était pas définitif et que quelque accident permettrait de ne pas le consacrer. Puis, sans doute, on en vint à concevoir l’idée qu’il était moins avantageux et moins habile d’inquiéter Ménélik sur ses frontières que de le rassurer, de s’insinuer dans ses bonnes grâces et de se réserver ainsi l’avenir dans ce pays dont la force pourrait bien être éphémère comme tout ce qui n’est soutenu que par le génie d’un homme. Il serait plus facile à des voisins ayant des intelligences dans la place de provoquer à l’heure voulue l’ouverture de la succession d’un autre « malade d’Orient. » D’autre part, il est incontestable que l’appétit colonial décline depuis quelques années. La lourdeur de certaines entreprises d’outre-mer comme la guerre du Transvaal, et aussi une manière nouvelle dont se posent les questions indigènes en Asie et en Egypte ont pu faire réfléchir. Mais, surtout, l’Italie a été amenée à ramener son attention sur l’Adriatique après la crise d’engouement pour la Mer-Rouge. L’Angleterre, de son côté, a vu qu’elle devait de nouveau se préoccuper de l’équilibre européen. Comme, dans des questions plus vitales, les deux gouvernemens qui avaient associé leurs intrigues en Ethiopie, se trouvèrent avec la France des intérêts communs, le rapprochement entre Paris, Londres et Rome devait s’étendre graduellement aux affaires éthiopiennes. L’entente des trois gouvernemens se fit lentement et se substitua peu à peu à la rivalité, exaspérée par le zèle des agens à Addis Ababa : l’accord du 13 décembre 1906, qui est la charte internationale de l’Ethiopie, fut signé entre l’Angleterre, l’Italie et la France. Cet acte mit très fortement une sourdine aux luttes, bien que le morbus consularis ne leur ait pas permis de cesser complètement autour du guébi impérial. Il résolut ou du moins aida fort à résoudre l’exaspérante question du chemin de fer qu’il nous faut maintenant traiter, car elle laisse à l’histoire la page peut-être la plus étrange du règne de Ménélik, et elle fut, pour ainsi dire, le champ de bataille entre la politique française et la politique anglo-italienne, qui y prit les allures caractéristiques qu’elle eut et qu’elle aurait sans doute encore demain en Ethiopie si