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moyennant un modeste loyer, de travailler passivement entre les mains d’autrui, entretenir des industries et un personnel étrangers et servir au développement de politiques rivales de la nôtre. C’est le même service que rend à nos concurrens, sur tant de points du monde, notre passivité financière. Ceux qui, dans l’affaire d’Ethiopie, avaient un souci plus vivant de nos intérêts nationaux purent s’indigner de voir, au commencement de 1905, des sociétés anglaises affiliées au trust éthiopien solliciter sans le moindre déguisement, dans des journaux de Paris, les prêteurs français de leur fournir les moyens d’internationaliser le chemin de fer, alors que nos contribuables supportent une charge annuelle de 500 000 francs pour maintenir à celui-ci un caractère français. Peu importait à la politique anglaise que le capital de ce chemin de fer fût français, pourvu que sa direction, ainsi que la vie et l’influence qu’il créerait fussent britanniques, sous un masque international qui ne pouvait faire que des dupes volontaires. Et la diplomatie de sir John Harrington ayant des intérêts parallèles à ceux du trust marcha résolument dans le même sens que lui.

Une campagne savante fut organisée pour acculer la France à l’internationalisation. Elle n’eut pas de serviteurs plus zélés que ceux que lui fournit la Compagnie française, laquelle, menée par des créatures du trust, n’aspirait qu’au suicide. Il s’agissait de convaincre le gouvernement français que le Négous voulait un chemin de fer international et que l’Angleterre n’en accepterait pas d’autre ; il fallait, en même temps, pour affaiblir, isoler notre diplomatie, faire croire au gouvernement britannique que l’opinion française se désintéressait de la question ; il fallait enfin, circonvenir, lasser, intimider Ménélik. Aussi des agens de divers ordres s’efforcèrent-ils de provoquer, sur chacune des scènes de ce drame complexe, des manifestations dont l’écho, grossi et au besoin dénaturé par des dépêches tendancieuses, affaiblirait la défense des intérêts français sur les autres. En France, on ne parla pas ouvertement d’internationalisation. Le mot provoquait même une affectation de pudeur effarouchée chez les bons apôtres qui travaillaient pour la chose : ils disaient seulement que le chemin de fer français était impossible, parce que politique ; que Ménélik était animé d’une hostilité inquiète contre cette voie ferrée construite par les ressortissans d’une seule nation, et que le chemin de fer serait purement