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sérieusement ? La vérité est qu’il n’y a pas de question qui intéresse plus le gouvernement et engage sa responsabilité davantage. Jamais à aucun moment, dans aucun pays, il ne s’en est désintéressé, et c’est pour n’avoir pas compris la solution à y donner que le gouvernement de Juillet a succombé en 1848. La situation actuelle présente donc l’antinomie suivante : il est impossible d’ajourner la discussion de la réforme électorale, la présence de M. le président du Conseil y est indispensable, M. Monis est dans l’impossibilité d’y assister. Le même cas se présentera plus d’une fois, d’une manière moins frappante, moins saisissante peut-être, mais avec le même caractère de nécessité d’une part et d’impossibilité de l’autre. Comment concilier ces élémens opposés ? Quelle que soit la juste estime dont jouit dans le monde parlementaire M. le garde des Sceaux Antoine Perrier, il ne saurait remplacer M. Monis. Encore une fois, nous n’avons aucune raison de désirer aujourd’hui une crise ministérielle qui ne modifierait pas sensiblement la situation politique et ne profiterait pas aux opinions modérées ; mais il faut que le gouvernement marche et le président du Conseil est provisoirement invalide. A chaque incident, on se tournera vers le banc du gouvernement pour demander un avis que personne n’aura autorité ni compétence pour donner. Alors que fera-t-on ? On passera outre ? C’est bien ce que nous craignons : il n’y a rien de plus redoutable que d’habituer une Chambre à se passer de gouvernement.

Tels sont les problèmes que la catastrophe du 21 mai a fait surgir de la manière la plus inopinée. Ils sont délicats et difficiles, sans doute. Aucun précédent n’aide à les résoudre, car le cas ne s’est pas encore présenté, dans notre histoire parlementaire, d’un président du Conseil condamné à une longue immobilité. Mais s’il n’y a pas de précédent qui puisse nous éclairer dans le passé, il est dangereux d’en créer un qui puisse égarer nos successeurs dans l’avenir.


Les considérations qui précèdent tirent des circonstances présentes une gravité particulière. Le gouvernement s’est lancé et nous a lancés avec lui dans l’affaire marocaine avec plus de hardiesse que de prudence. Il est allé à Fez. L’entreprise, nous l’avons toujours dit, n’était pas particulièrement difficile, mais elle devait ouvrir la porte à d’autres difficultés avec lesquelles nous allons maintenant être aux prises. Ce que nous écrivons au sujet de la marche sur Fez n’est pas pour diminuer le mérite de l’opération ; elle a été bien préparée et bien conduite ; nos officiers ont fait voir une fois de plus qu’ils étaient