Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 3.djvu/73

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

disait à Berlin, au sujet de ce qui s’y dirait si demain les « ultramontains » de France, soupçonnés de vouloir rétablir le pouvoir temporel, sortaient vainqueurs de la crise. A Berlin, les banquets où paradait Crispi, les discours où Bennigsen affirmait la solidarité de l’Allemagne et de l’Italie, semblaient braver la France « ultramontaine, » dans laquelle l’Italie voyait toujours un péril. Manteuffel, l’historien Banke, envoyaient à Thiers des télégrammes pour lui souhaiter le succès. Le 6 septembre, Bismarck, donnant ses instructions à Hohenlohe, qui s’en retournait à Paris, lui disait qu’avant les élections, il serait encore nécessaire que l’Allemagne se montrât un peu menaçante. Voyant un certain nombre de nos journaux reproduire ses menaces et les transformer en argumens électoraux, notre vainqueur de 1871 se flattait de peser sur nos suffrages. « Lisez l’histoire et ses tristes leçons, s’écriait avec une grave et pessimiste éloquence le duc de Broglie. N’est-ce pas sur l’Agora d’Athènes mourante qu’on évoquait le fantôme de Philippe de Macédoine ? N’est-ce pas dans les Diètes de Pologne qu’on se retournait avant de voter, pour savoir ce que pensaient et ce que voulaient les ambassadeurs de Catherine ? »

On sait la suite des faits, comment Gambetta devint le maître, comment le cléricalisme devint l’ennemi, comment une « erreur funeste, pour reprendre les expressions de Gabriel Charmes, nous entraîna à rompre avec l’allié naturel qu’était pour la France le catholicisme, à traiter en ennemi le culte qui avait été le drapeau de la protestation de l’Alsace-Lorraine contre la conquête, et qui restait l’âme des particularismes allemands. » Le prince de Hohenlohe, ambassadeur de Bismarck, et Henckel de Donnersmarck, qui renseignait activement le chancelier sur les événemens de Paris, applaudissaient à ce tardif succès du Culturkampf international. Spuller, lui, sentait au contraire une impression de cauchemar. « Ah ! ma chère amie, disait-il à Mme Edmond Adam, combien de fois vous ai-je dit et répété de ne pas applaudir dans les discours de Gambetta ses sorties anticléricales ! Vous le voyez aujourd’hui : l’anticléricalisme le conduisait à Bismarck et Bismarck à lui. L’anticléricalisme, prenez-y garde, il est prussien ! »

C’en était donc fait de ce régime clérical sous lequel l’armée française, au dire de Henckel, n’était pas autre chose que l’armée des soldats du Pape, qui, sur un ordre, iraient où les