Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 3.djvu/775

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Russie, la Roumanie ne pourrait guère rester indifférente. Par ses longues frontières, par sa configuration biscornue, la Roumanie se trouve avoir beaucoup de voisins, d’où l’éventualité de beaucoup de conflits.

Si l’on regarde une carte de l’Europe orientale, on est frappé de la disposition caractéristique des couleurs qui distinguent les divers Etals : la Turquie d’Europe, la Bulgarie, la Roumanie forment trois bandes parallèles au Danube et au Balkan, trois couches de population qui s’étendent longitudinalement de l’Est à l’Ouest et qui, du Sud au Nord, vont se superposant par tranches assez minces représentant à la fois des races et des Etats. La masse russe et la masse austro-hongroise semblent peser sur l’ensemble et le comprimer. Ainsi la Roumanie est serrée, en sandwich, entre la Russie slave et la Bulgarie slave ; celle-ci à son tour se trouve laminée entre la Roumanie latine et la Thrace ottomane. Entre les diverses tranches, pas de frontière naturelle ; la plaine bulgare de Philippopoli s’ouvre largement, par la Maritza, sur la plaine turque d’Andrinople ; la Dobroudja roumaine n’est séparée par aucun obstacle naturel des cantons bulgares voisins ; enfin, entre l’immense plaine de la Petite-Russie et les champs moldaves, le Pruth ne forme qu’une insignifiante barrière. Ces plaines ont, au cours des siècles, souvent changé de maître ; elles sont une proie facile pour les conquérans ; d’où, pour les Etats qui s’y constituent, l’obligation vitale de monter une garde vigilante et de tenir leur poudre sèche ; de là aussi la probabilité d’alliances ou d’ententes pour le maintien de l’équilibre général et la sauvegarde de la sécurité de chacun.

Dans la crise de 1877-1878, la Roumanie a fait l’amère expérience des périls de sa situation géographique ; elle se trouvait sur le passage des deux grandes puissances qui allaient se heurter ; son indépendance notait, à cette époque, reconnue ni par les Turcs, ni par l’Europe. Les troupes du Tsar, en marche vers le Danube, entrèrent en Moldavie sans attendre la signature de la convention qui devait les y autoriser ; Gortchakof ne cachait pas que si la permission était refusée, l’armée la prendrait de force. La Roumanie fut sauvée par la fermeté et l’habileté de son prince ; entre deux guerres, il choisit la seule qui pût être à la fois profitable à son pays et justifiable devant l’opinion étrangère : il marcha avec les Russes. L’armée roumaine,