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roumain et d’y prendre de force un passage qui ne serait pas accordé de gré. Dans tout conflit danubien ou balkanique, les puissances devraient compter avec la Roumanie et son armée.


II

La Dobroudja, cette terre de landes et de marais que le traité de Berlin a donnée aux Roumains et que leur énergie colonisatrice a déjà métamorphosée, remplit, dans l’équilibre politique de l’Europe, un office très important : elle sépare la Russie slave de la Bulgarie slave. A un Bulgare qui regrettait que le Congrès de Berlin n’eût pas attribué toute la rive droite du Danube à la Bulgarie, Stanibouloff répondait : « Bénissez le Ciel que la Dobroudja vous sépare de la Russie[1] ! » Les vœux du terrible dictateur sont accomplis : la politique bulgare est pleinement indépendante de celle de la Russie, mais les souvenirs de l’époque héroïque, les affinités de race, de religion et d’intérêts peuvent, à un moment donné, amener entre les deux pays une alliance qui pourrait être dangereuse pour la Roumanie ; c’est l’une des éventualités en vue desquelles elle ne peut manquer de se prémunir ; elle n’a qu’un moyen de le faire, c’est de s’entendre avec l’Autriche-Hongrie qui, rivale de la Russie dans les Balkans, a le même intérêt qu’elle. De fait, le roi Carol et ses ministres ont eu depuis longtemps des pourparlers avec le Cabinet de Vienne en prévision d’une nouvelle descente russe vers le Bosphore : une entente militaire, conclue en 1891, prévoit qu’en cas d’agression russe, l’armée roumaine et l’armée autrichienne se prêteraient un mutuel appui. En interposant une terre roumaine entre la Russie et la Bulgarie, les plénipotentiaires de Berlin ont poussé la Roumanie vers l’Autriche-Hongrie, dont certains intérêts considérables auraient dû l’éloigner. Du fait qu’elle possède la Dobroudja, la Roumanie devient naturellement la sentinelle avancée de la Triple-Alliance en face du Slavisme. La Roumanie est liée à l’Empire allemand par des liens dynastiques, mais ce sont des raisons plus profondes, inscrites dans le traité de Berlin, qui lui ont imposé comme une nécessité la pratique d’une

  1. Cité par M. André Bellessort dans le livre charmant qu’il a consacré à la Roumanie contemporaine (Perrin, in-12) et dont la plus grande partie a paru ici même.