Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 3.djvu/778

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

politique vers laquelle l’inclinaient déjà les préférences de son souverain.

Le Turc, avec son armée réorganisée, pèse d’un poids lourd dans ce dosage de forces d’où l’équilibre de l’Orient doit résulter. Il est séparé du Roumain par le Bulgare : il n’a donc rien à craindre du premier, tandis qu’il redoute les ambitions du second. Rien donc de plus naturel pour lui que de s’entendre avec le Roumain pour contenir les impatiences du Bulgare et arrêter la descente du Russe vers Constantinople. En laissant de côté l’hypothèse d’une alliance entre la Russie et la Bulgarie et en supposant que la Bulgarie seule attaque la Turquie, la Roumanie croit que, même dans ce cas, son intérêt lui commanderait de marcher d’accord avec la Sublime-Porte. Elle a pris pour maxime fondamentale de sa politique la règle, que nous avons si malheureusement oubliée en 1866, que l’accroissement d’un Etat est, ipso facto, une diminution pour ses voisins : les proportions se trouvant changées, l’équilibre est rompu. Mais ce n’est pas, comme l’a fait Napoléon III, après l’événement qu’il convient d’appliquer ce principe, c’est avant : le roi Carol n’y a pas manqué. On a dit souvent de la Bulgarie qu’elle est la Prusse des Balkans. Le Hohenzollern qui règne à Bucarest est résolu à ne pas laisser accomplir, au bénéfice de la « Prusse des Balkans, » ce que le Hohenzollern de Berlin a réalisé au bénéfice de la Prusse et au détriment de l’Autriche et de la France. Comparée à la Bulgarie, la Roumanie est actuellement, sous le rapport de la population et des ressources générales, dans la proportion de sept à quatre. Elle a sept millions d’âmes, et la Bulgarie moins de quatre. Elle ne veut pas voir cette proportion se modifier à son désavantage. Une victoire bulgare, qui ressusciterait la Grande-Bulgarie de San Stefano, mettrait la Roumanie en état d’infériorité ; elle risquerait de se trouver étouffée entre deux grands empires slaves ; elle redouterait que la Bulgarie victorieuse ne cherchât à s’emparer de la Dobroudja sous prétexte qu’une partie des paysans qui y vivent sont de race bulgare. Aussi est-il permis de croire que, sous une forme quelconque, entre la Sublime-Porte et Bucarest, le cas d’une agression bulgare a été envisagé, et que tout se passerait, en cas de guerre, comme si un accord avait été conclu.

Le Roumain, se tournant vers son voisin Bulgare, lui tient