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dit que, ses institutions n’étant pas les mêmes que les nôtres, nous ne devions pas chercher chez elle un modèle. Cela n’est pas seulement vrai de l’Allemagne, mais de tous les pays du monde ; aussi ne cherchons-nous de modèles absolus nulle part et nous contentons-nous de porter nos propres institutions à toute la perfection dont elles sont susceptibles. On a dit qu’elles ne nous permettaient pas de pourvoir à toutes les nécessités nationales : pourquoi ? Il n’y a aucune contradiction entre la République et l’unité du commandement militaire. La preuve en est dans l’impression que le langage du général Goiran a produite au Sénat et à la Chambre ; et certes la majorité de ces deux assemblées est républicaine ; elle n’en a pas moins éprouvé un étonnement qui est allé jusqu’à la stupeur. On répète volontiers que la République redoute d’avance un général victorieux et que notre monde parlementaire en repousse instinctivement loin de lui le fantôme inquiétant. Il faut croire que le sentiment patriotique reste le plus fort, car lorsque le général Goiran a parlé de diviser le commandement militaire, la révolte des intelligences a été générale. Il n’est pas jusqu’à l’évocation de Napoléon, rendu responsable de la diminution de la France à cause de l’insuffisance de son génie, qui n’ait paru déplacée et choquante. Dégagée des préoccupations dynastiques, la France aime la gloire de Napoléon qu’elle regarde justement comme faisant partie de la sienne, et ce sentiment semble même augmenter chez elle à mesure que le grand empereur s’éloigne dans le recul du passé. Pour tous ces motifs, les déclarations malencontreuses du général Goiran contre l’unité du commandement ont provoqué l’unanimité de la réprobation.

La Chambre s’en est émue après le Sénat : une interpellation y a été adressée à M. le ministre de la Guerre pour lui permettre d’expliquer ses paroles. Il ne les a pas expliquées, il les a même maintenues en les atténuant toutefois dans la forme et s’est déclaré fièrement responsable de l’organisation du commandement à la guerre en se portant fort de l’assurer. C’était monter un peu trop tôt au Capitole ; la Chambre en a fait bien vite descendre le général Goiran. Les amis du Cabinet, sentant la situation mauvaise, ont proposé l’ordre du jour pur et simple : par une aberration inexplicable, le ministère a exigé un ordre du jour de confiance, que la Chambre lui a refusé. Il s’y attendait si peu qu’au lieu de s’en aller, comme on le fait habituellement en pareil cas, il est resté abasourdi sur son banc et il a fallu que M. Brisson annonçât une autre interpellation pour que la Chambre se soulevât en criant : « Démission ! démission ! » Alors enfin le ministère