Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 4.djvu/478

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mains. Il ne fallait pas être grand clerc en diplomatie pour deviner où tendait l’Allemagne. C’est un pays tout réaliste, avec un gouvernement qui l’est encore plus que le pays. Nos journaux soutiennent le plus souvent une thèse pour le simple plaisir de dire ce qu’ils pensent : quand les journaux allemands en adoptent une, c’est pour préparer un acte.

Sur ces entrefaites, est survenu l’incident espagnol, qui a été accueilli chez nous par une tempête de presse : il n’en est d’ailleurs résulté et il ne pouvait en résulter rien de plus. En Allemagne, au contraire, l’initiative espagnole a rencontré une grande faveur, parce qu’il y avait là une atteinte, et cette fois incontestable, portée à l’Acte d’Algésiras. Les voies allemandes en devenaient plus larges et plus dégagées d’obstacles. Aussi, quand nos journaux ont montré une mauvaise humeur d’autant plus naturelle qu’ils commençaient — enfin ! — à comprendre où tout cela conduirait, leurs confrères allemands leur ont demandé de quoi ils se plaignaient, en assurant que l’Espagne avait seulement suivi l’exemple donné par la France et que celle-ci n’avait par conséquent aucun grief à lui opposer. L’Espagne assurait que ses nationaux étaient en danger à El-Ksar ; elle y accourait ; est-ce que la France avait fait autre chose à Fez ? À ces allégations, la réponse était facile. Mais à quoi bon discuter ? Tout ce que nous aurions dit n’aurait eu d’autre résultat que d’irriter les Espagnols sans changer l’opinion d’un seul Allemand, car les Allemands ne forment pas leur opinion sur les faits eux-mêmes, mais sur l’intérêt qu’ils présentent pour eux. N’est-ce pas ainsi qu’ils écrivent l’histoire ? Il est donc tout naturel que ce soit ainsi qu’ils la fassent. On peut relire les journaux allemands : on n’y trouvera pas une approbation explicite de l’acte espagnol, — car elle était inutile et aurait pu devenir plus tard compromettante, — mais bien l’affirmation formelle qu’il était le pendant exact de l’acte français, c’est-à-dire une nouvelle violation de la convention d’Algésiras dont on devait décidément faire son deuil : c’est un deuil que l’Allemagne acceptait sans tristesse.

Il aurait fallu fermer les yeux à la lumière pour n’avoir pas le pressentiment de ce qui allait arriver. C’est vraisemblablement pour ce motif que notre ambassadeur à Berlin, M. Jules Cambon, est allé à Kissingen où il a eu avec le ministre allemand des Affaires étrangères, M. de Kiderlen-Waechter, un entretien dont tout le monde a parlé, mais que personne, en dehors des deux gouvernemens, ne connaît encore. Les journaux n’ont pu faire que des suppositions : nous y