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même titre que moi, sont égaux en valeur à moi, ont droit à être traités comme je veux être moi-même traité. De ce fait découlent les deux règles : « Ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qui te fût fait. — Fais à autrui ce que tu voudrais qu’on le fit. » D’après ces deux règles tirées cependant des données les plus authentiques et les plus certaines de l’expérience psychologique, on peut juger tous les faits. Et par cela même que l’homme pense, qu’il se pense soi-même et les autres hommes avec soi, qu’il peut dire : nous, aussi bien que : moi, il prend conscience de la valeur que lui confère la pensée. « Toute la dignité de l’homme ne consiste que dans la pensée, » dirait volontiers M. Fouillée à la suite de Pascal. Cette estime idéale que l’homme fait de lui-même, cette idée de sa valeur, en même temps qu’elle est une représentation de la valeur existante, est aussi une tendance à l’accroître, cette idée est une idée-force, une idée capable de transformer le donné sans cependant tirer son origine d’ailleurs que de ce donné. Ainsi, sans faire appel à rien d’autre qu’à nous-même, nous parvenons à nous dépasser. Il n’y a dans le Devoir rien de transcendant, ni de mystérieux. Il ne nous commande pas comme un maître, il nous persuade comme un ami ; ce n’est pas un impératif mais simplement un persuasif. Ce persuasif n’en est pas pour cela moins catégorique. Il ne dépend de rien autre, n’est subordonné à rien. Il se suffit, mais il n’est pas sans raison, il porte sa raison en soi puisqu’il arrive à persuader. De cette idée-force de la dignité, de la sociabilité humaines M. Fouillée tire, avec une doctrine du droit très voisine de celle de Kant, la morale tout entière. Les préceptes de cette morale sont à peu près ceux de la morale traditionnelle, de la morale chrétienne, avec une tendance marquée à rendre la morale plus sociale, plus réaliste, moins individualiste et formelle. Car, à mesure que l’on se préoccupe davantage des conséquences sociales des actes moraux, on voit se restreindre la valeur de la forme intérieure que donnent aux actes les intentions. L’acte social vaut en effet surtout par le bien qu’il procure et qu’il réalise, en raison de sa matière.

Sur les sanctions infaillibles de la vie présente ou même de la vie future, M. Fouillée ne se prononce pas. Il croit que, même durant cette vie, nos actes ont des conséquences et des retentissemens ordinairement bons si nos actes sont bons,