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tout l’attirail démodé des chemins de fer à vapeur : gares, signaux, barrières, matériel roulant ; « tout un système d’appareils mal conçus, propagateurs de fumée et de bruit ; » des clôtures, des panneaux d’affichage, des palissades, des hideuses baraques en volige : « Toute la vieille ferraille du monde entier, tout ce qui était empuanti de goudron, les gazomètres et les réservoirs à pétrole, tous les véhicules à chevaux, les camions, les haquets, tout fut démoli et brûlé. » On y joint le fatras des faux chefs-d’œuvre, la pacotille de l’art : vastes toiles barbouillées, marbres académiques, faïences décorées, tapisseries, broderies, mauvaise musique, instrumens sans valeur, livres innombrables, ballots d’imprimés et de journaux, « tout un capharnaüm d’idées ratatinées et biscornues, d’incitations basses et contagieuses, de formules, de tolérances résignées et d’impatience stupide, tout un lot d’ingénieux paradoxes, certifiant des habitudes de paresse intellectuelle, toute l’évasive nonchalance de la pensée apeurée » et « des actes, des documens, des traites impayées, des souvenirs vindicatifs… »

On détruit, on nettoie, on brûle. C’est pour M. Wells une allégresse, une volupté, d’imaginer cette liquidation et de la décrire. Il satisfait ainsi sa fureur logique et lui ouvre, dans la fiction, une voie déblayée des décombres du passé. Voilà tout juste le déblaiement qu’on n’aime pas beaucoup en Angleterre, pays classique des réparations successives et de l’adaptation des vieilles choses. Ah ! s’il était possible d’en finir quelque jour en une seule fois, de raser et d’anéantir ! M. Wells s’accorde du moins la joie de ce rêve, qu’il se plaît à dérouler sous nos yeux dans le spectacle des grandes crémations et en particulier de la première de toutes, Beltaine, le festival de Mai. Il n’a que trop beau jeu à dénigrer ce qu’il brûle, et sa verve irritée nous persuade sans peine. Nous imaginons si volontiers un monde matériel mieux organisé que le nôtre, mieux aménagé, mieux tenu ! Oui, nous vivons vraiment dans l’imperfection et là peu près ; chaque progrès, partiel, mélangé, apporte avec lui sa rançon, et la vie neuve traîne après elle la dépouille des formes anciennes. Tel quel, notre monde d’aujourd’hui est le résultat des longs efforts du passé, la matière des efforts de l’avenir. Il est tout chargé de l’activité de nos pères, et nous devons la percevoir dans ses bienfaits tout autant que dans son impuissance. « L’inventeur de la charrue, » dit Emerson, « se tient