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sans doute de ses rêves. » Eh ! oui, c’est absurde ; mais d’abord il y a là des épithètes bien sévères et une certitude bien tranchante que tout ce qui sortira de cette richesse sera exclusivement et irrémédiablement de la pire espèce. En fût-il ainsi, on pourrait se demander encore si ceux qui n’y prennent point garde et qui acceptent le fait ne sont pas plus sages. Ils voient le résultat tel quel, et ce résultat est positif. C’est ainsi, en somme, que l’Angleterre a progressé. Ce « marchand d’ordures » a fait preuve d’une certaine intelligence, et il lui a fallu de l’énergie. Il apportera ces qualités dans la société où il aspire à entrer, et elle lui en donnera d’autres, qu’elle possède à un degré éminent : sentiment de dignité, de responsabilité, amour du bien public. Sans doute il aurait pu y arriver par d’autres moyens, et l’on préférerait une sélection plus intelligente, plus digne de l’individu et de la société. Mais c’est ainsi, et il y a peut-être quelque raison que ce soit ainsi. En tout cas, prenez garde, en déracinant le mal, de déraciner le bien qui a poussé avec lui ; prenez garde de planter en terre, avec un enthousiasme un peu naïf et une confiance par trop téméraire, un bien qui n’aurait pas de racines…

Est-ce là du pessimisme ? On dirait plutôt du dépit et de la colère. M. Wells pense que tout pourrait être mieux sans la sottise des hommes et leur mauvaise volonté. Un peu plus d’intelligence ou, à vrai dire, un meilleur emploi de l’intelligence : il n’en faudrait pas plus pour assurer sur la terre, et dès maintenant, l’ordre et le bonheur. N’y a-t-il pas là excès d’optimisme plutôt, excès de confiance dans la science et dans la raison ? Si vous leur demandez trop, elles décevront vos espoirs ; enfler démesurément leur crédit, c’est les condamner à la faillite. M. Wells semble en avoir fait l’épreuve ; et le conflit a éclaté, violent, irrésistible, entre une raison aussi intransigeante que la sienne et un monde aussi réfractaire que celui-ci. De ce conflit la raison sort vaincue et le monde condamné : voilà bien cette fois, et dans toute son étendue et avec toute sa portée, le pessimisme.

On comprend comment M. Wells a été amené à douter de la raison et de l’esprit humain lui-même, impuissant à rien changer. Étrange, mais inévitable conclusion de son rationalisme et de son idéologie. Avec moins d’exigence logique, il eût évité tant de déception. Il faut s’accommoder de la marche lente du