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énergies de l’instinct, ces sentimens spontanés et profonds auxquels s’adressent, non point la science, mais les morales et les religions. Il leur a opposé, comme à des forces irrationnelles et hostiles, une idéologie orgueilleuse, qui ne doute de rien. La plus grande tradition philosophique lui répond que la raison est l’essence même et le fond des choses, l’aptitude de l’esprit à saisir l’ordre du monde, leur commune participation au Logos et à la sagesse de Dieu. Attentifs à cet ordre et soumis à cette sagesse, les réformateurs ont moins d’orgueil avec plus de confiance et plus d’espoir, le sens de la vie, le respect de la tradition et du passé, l’indulgence pour le présent, la rassurante conviction qu’il est gros d’un avenir meilleur. Sans doute, un bain de quelques heures dans les brouillards verts de la comète serait le moyen le plus pratique de tout arranger, et le plus sûr. M. Wells s’est complu dans cette chimère, qui lui a fourni le thème d’un de ses meilleurs livres. Sa fantaisie s’y donne carrière : n’en prenons pas les jeux trop au sérieux. L’imagination de l’auteur vaut mieux que sa doctrine, et ses moins bons romans sont supérieurs à sa philosophie.


V

Le champ de son art, en effet, est très étendu. M. Wells replace l’homme dans un vaste ensemble, où il le fait mouvoir parmi les lois de l’univers et le devenir des sociétés. Ce n’est point l’historiole de l’âme qui l’intéresse, mais ses relations avec le tout, et plus encore la valeur, la destinée du tout. Sans cesse il ajuste, il confronte et il compare. Il compare le présent et le futur, l’actuel et le possible, le réel et l’idéal. Nos sentimens lui apparaissent comme des effets, nos idées comme des conséquences : il les rapporte à leur cause, qui est l’état de la société, la masse des opinions, des croyances et des mœurs. Il aime déterminer des points sur les grandes courbes qu’il lance dans le temps ; il se plaît aux anticipations. Quand nous croyons qu’il observe, il construit. L’artiste en lui a des goûts, des ambitions et des procédés de savant. Sa fantaisie n’est le plus souvent qu’une ingéniosité d’expérimentateur. Il conduit ses fictions avec une rigueur logique, ou plutôt elles le conduisent et le portent, si l’on peut dire, comme un algébriste est porté par ses équations. Il n’a point souci de composer et ne