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France une nouvelle aussi importante qu’inattendue, désire connaître, préalablement, ses sentimens à cet égard.

La correction de ce procédé rend encore plus cruelle pour le général la manière dont Talleyrand le tient à l’écart ; il ne le lui cache pas : « J’ai le droit d’attendre, citoyen Ministre, que vous ne me contesterez pas le privilège d’achever mon ouvrage et de mériter l’estime et le respect que la nation portugaise tout entière ne cesse de me manifester en attachant mon nom au traité qui doit assurer sa tranquillité. C’est une ambition trop noble que celle de concourir à la paix d’un peuple pour qu’on y renonce facilement, et je ne crains pas de vous ajouter, citoyen Ministre, qu’elle appartient surtout à ceux qui ont acheté au prix de leur sang le droit de la mieux apprécier. »

Dans les lettres privées, son amertume s’épanche encore avec plus de violence, si c’est possible. C’est ainsi qu’il écrit à son beau-père : « Je n’ai d’abord reçu aucun avis du traité avec l’Espagne. Je n’en suis pas étonné : Talleyrand a voulu perdre ce pays-ci et me compromettre. Heureusement que je n’ai rien fait de tout ce qu’il m’avait dit de faire. J’espère que le Premier Consul chassera ce ministre qui le déshonore ainsi que son gouvernement. Du reste, mon ami, je suis bien décidé à donner ma démission, si je ne reçois pas une entière satisfaction de la part du Premier Consul. T… a dit à M. de Souza : « Vous pouvez dire à votre gouvernement de regarder la mission de Lannes comme nulle. Toutes les affaires se traiteront à Paris, etc. » J’attends avec impatience la réponse à mon dernier courrier. Si elle n’était pas comme je la demande, j’envoie ma démission, même celle de militaire. »

La position devient pour lui, non seulement embarrassante, mais vraiment pénible. Le Portugal, si longtemps hostile à notre influence, offre de s’engager avec nous, et celui qui a opéré ce changement est sans instructions et sans pouvoirs pour répondre à ces avances. Il a essayé d’abord de gagner du temps, pour permettre aux uns et aux autres de lui parvenir ; mais, ne recevant rien de Paris, pressé par Balsemaö, désireux de ne pas perdre le fruit de ses efforts, il se décide à ouvrir les négociations, sans y être, il faut bien l’avouer, autorisé en aucune façon, et profite de ce que le Portugal préfère une entente directe avec la France à la médiation espagnole pour lui proposer les conditions suivantes :