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Maroc, au moins vis-à-vis de nous. Le prétexte qu’elle a mis en avant, à savoir l’obligation où elle se trouvait de protéger des nationaux menacés, pouvait être bon pour le Maghzen, — qui cependant ne l’a pas jugé tel ; — mais les engagemens qu’elle a pris envers nous, pour le cas où elle serait amenée à intervenir dans sa zone d’influence, n’ont pas été respectés comme ils auraient dû l’être, et ni la gravité, ni l’urgence d’un péril imaginaire n’autorisaient un pareil oubli. Malgré cela, nous avons laissé l’intrusion espagnole se produire. Quelques-uns de nos journaux l’ont reproché au gouvernement ; la majorité de l’opinion a été moins sévère. Toutefois des appréhensions sont nées dans les esprits. On a cru d’abord que l’Espagne voulait faire au Maroc ce que nous y faisions nous-mêmes, sans avoir les mêmes raisons de le faire et sans y avoir été invitée à le faire par le Sultan. Il a été bientôt évident qu’elle n’entendait pas se contenter de faire comme nous ; qu’elle faisait davantage et qu’elle s’installait au Maroc en maîtresse et en conquérante. Elle s’est conduite à El-Ksar comme si toute la région lui appartenait définitivement ; elle y a proclamé l’état de siège ; elle a interdit à tout autre qu’elle d’y porter les armes. Une pareille attitude devait faire naître et n’a pas manqué de provoquer en effet un certain nombre d’incidens dont nos nationaux ont été victimes et qui, par une sorte de crescendo, ont pris de jour en jour un caractère plus inquiétant. Est survenu alors l’incident Boisset, cet agent consulaire de France à El-Ksar, qui, bravant tous les dangers, est parti pour ravitailler une de nos colonnes, menacée de manquer de vivres et de munitions : on se demandait alors avec anxiété s’il arriverait à temps et les agences télégraphiques rendaient compte, au jour le jour, des détails de son entreprise. C’est ce même homme qui, sur le point d’entrer à El-Ksar avec une faible escorte, a été arrêté par une patrouille espagnole et sommé de remettre le fusil dont un de ses hommes était armé. Il s’y est refusé, naturellement ; il a excipé de sa qualité ; alors, entouré de soldats espagnols, il a été conduit à un poste voisin où l’officier qui le commandait, se contentant de dire qu’il y avait eu erreur, a rendu la liberté à M. Boisset, mais n’a exprimé ni regrets, ni excuses de ce qui s’était passé. Nous ne voulons pas exagérer l’importance de l’incident. Malentendu, a-t-on dit, et certainement il n’y a pas eu autre chose. L’opinion française ne s’en serait pas émue si le fait avait été isolé ; malheureusement il a été le couronnement de plusieurs autres faits du même genre qui ont pu donner à croire à un parti pris, et alors, il faut le