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reconnaître, l’émotion chez nous a été très vive ; le gouvernement espagnol a senti qu’elle était sincère et profonde, et il s’est appliqué à la calmer tout de suite, en quoi, il a fait preuve à notre égard de bonne politique et de bonne amitié. Il a exprimé des regrets de ce qui s’était passé, en promettant d’autres satisfactions quand il aurait reçu les rapports doses agens. L’opinion, en France, s’apaise aussi vite qu’elle se monte ; elle est surtout sensible aux procédés chevaleresques et courtois ; ses sympathies traditionnelles pour l’Espagne lui sont revenues au cœur. Mais, presque aussitôt, un nouvel incident est survenu, celui du lieutenant Thiriet, et la situation, qui s’était détendue, est redevenue délicate. Ces incidens seraient peu de chose s’ils se produisaient dans une situation ordinaire : ce qui est grave, c’est la cause permanente d’où ils découlent. Leur fréquence montre que nous sommes en présence d’un mal auquel il faut porter un remède immédiat, faute de quoi, nous sommes et nous resterons à la merci du hasard : encore le mot de hasard n’est-il pas juste, car ce n’est pas le hasard qui est ici coupable, mais bien le malentendu fondamental que les circonstances ont fait naître entre l’Espagne et nous et qu’il appartient à la diplomatie de dissiper. S’il persiste, les incidens se succéderont, se multiplieront, et la bonne volonté des deux gouvernemens ne suffira peut-être plus pour en arrêter les conséquences.

Quelques journaux ont demandé, au plus fort de la crise produite par l’arrestation de M. Boisset, que nous dénoncions nos accords avec l’Espagne : ce sont d’ailleurs les mêmes qui se plaignaient de l’Acte d’Algésiras et soupiraient après sa suppression. On a vu ce qui est arrivé le jour où l’Allemagne, leur donnant satisfaction, a cru pouvoir déclarer que l’Acte d’Algésiras n’existait plus : savons-nous ce qui arriverait le jour où nos arrangemens avec l’Espagne subiraient le même sort ? Certes, le droit public européen est aujourd’hui bien menacé, bien affaibli dans les documens qui le constituent : chacun en prend à son aise avec les conventions et les traités ; ils sont cependant notre sauvegarde, en attendant que nous soyons en état de les remplacer par quelque chose de mieux. L’Acte d’Algésiras, qui nous a rendu déjà des services très appréciables, peut nous en rendre encore de très utiles. Le peu que nous savons des négociations de Berlin n’est pas de nature à nous inspirer une confiance absolue dans leur succès. Le retour de l’Empereur va sans doute leur donner une orientation décisive ; mais, si elles avortent, si l’entente à deux n’aboutit pas, il faudra bien élargir le cercle et y faire entrer, sous une forme ou sous une autre, toutes les puissances