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et sa valeur absolue de la volonté de l’auteur des choses, de l’Être absolu dont il exprime le commandement ? Ou ne serait-il dans notre conscience que la voix de l’essentielle nature des choses ? N’aurait-il enfin rien d’absolu et ne serait-ce qu’une sorte de désir élevé, très noble, très vif qui, émanant des lois émotives de notre être, nous pousserait à chercher la vie la plus haute et la meilleure ? Ce qui constitue la moralité, est-ce telle ou telle action déterminée, n’est-ce pas plutôt l’intention d’après laquelle nous agissons, ce que les philosophes expriment par cette formule : Nos actes valent-ils moralement par leur forme ou par leur matière ? Comment arriver à déterminer quelles sont les actions que commande le devoir, celles qu’il défend, le détail de ce qu’il faut faire ou ne pas faire pour obéir à la loi morale ?

Sur tous ces points en 1911, aussi bien qu’en 1830 quand écrivaient Jouffroy et Cousin, les moralistes sont divisés et ce sont les mêmes solutions qu’on soutient encore. Chrétiens et spiritualistes disent encore comme le P. Sertillanges, M. Piat et M. Dunan, que la loi morale dépend d’un ordre absolu, d’un vouloir et d’une raison également transcendans, dit le P. Sertillanges, plutôt d’un vouloir, dit M. Piat, d’un Dieu personnel et cependant immanent, dirait plus volontiers M. Dunan. Les kantiens d’autre part soutiennent, avec M. Cantecor et M. Parodi, — et M. Faguet, en identifiant récemment le Devoir avec l’honneur s’est rangé à leur avis, — que le Devoir se suffit à lui-même, que le dériver d’autre chose serait l’amoindrir et en quelque sorte le détruire ; cependant, tandis que M. Cantecor espère pouvoir tirer de la notion même du Devoir les « préceptes particuliers de la morale, M. Parodi convient volontiers que cette déduction ne lui paraît pas possible. D’autre part, M. Fouillée pense que le Devoir n’est que la forme la plus haute, la plus rationnellement pressante de nos plus nobles désirs. À ses yeux, le Devoir ne constitue plus une espèce unique, il appartient au genre désir. Et par là, M. Fouillée ouvre la voie aux moralistes qui cherchent dans l’expérience les préceptes de la loi morale. Ces préceptes indiquent quels sont les moyens que les hommes doivent prendre pour réaliser le bien. Chercher ces préceptes c’est, ainsi que le réclamait en 1901 Victor Brochard, se détourner des traditions léguées aux modernes et à Kant par le christianisme et renouer avec les traditions des moralistes