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avec les stoïciens, mais en un sens plus humain et plus filial : Parere Deo liber tas est, « obéir à Dieu c’est la liberté. » Ainsi se rencontrent sur les sommets, malgré bien des divergences, les consciences les plus représentatives de l’humanité. Ceux qui ne font reposer la morale que sur la raison et refusent d’aborder aux rivages métaphysiques nous paraissent trop timides ; ne pouvant pas prendre pied sur un sol solide, ils risquent de demeurer livrés aux incertitudes des flots ; cependant on ne peut nier qu’ils puissent aménager avec cohésion l’ordonnance naturelle de leur vie.


VIII

Par cela seul que tous les êtres moraux vivent leur vie intégrale et pleine, ils possèdent en eux l’intime sentiment de la normalité, de la plénitude de l’existence. De même qu’un sentiment intérieur joyeux que les physiologistes nomment euphorie accompagne la santé physique, de même une sorte de contentement intérieur, une joie profonde, quoique presque inaperçue, baignera de ses eaux les intimités de l’être en bonne santé morale. « La douleur même, disait Spinoza, devient une joie quand nous savons que c’est Dieu qui nous l’envoie. » C’est ainsi que le sage possède son ciel intérieur, un paradis suprême de l’âme, efflorescence de la sagesse, parfum de la vertu qui ne peut se séparer ni de la sagesse ni de la vertu et que l’on a le droit de considérer comme une sanction. Les lois psychologiques nous expliquent comment ce contentement intime est lié à notre santé morale, car, selon le mot d’Aristote, « le plaisir s’ajoute à l’acte comme à la jeunesse sa fleur. » Tout ce qui est normal dans notre être s’accompagne d’un plaisir ou d’une joie. Et que pourrait-il y avoir de plus normal que l’adhésion même de notre plus essentiel vouloir aux lois qui nous font vivre et nous constituent ? Cette liaison de la joie ou de la récompense à l’observation de la loi n’apparaît pas seulement comme inévitable aux psychologues, elle apparaît encore aux moralistes comme réclamée, exigée par la justice. Une raison profonde exige que le bien voulu fleurisse en bonheur et ce retour du bien à son auteur même qui achève et ferme le circuit moral est précisément ce que l’on nomme justice. Quelque chose en nous réclame que les conséquences de nos actes nous reviennent sous des formes