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primevères rouges, d’orchidées et de raiponces, immense tapis aux bigarrures éclatantes. En cotte fin d’août, les prés ont déjà bruni ; et déjà les colchiques d’automne, dernières fleurs de l’année, ouvrent leur calice rose pâle. L’horizon est barré, au loin, par la Tourna vers laquelle la voiture s’élance dans un nouvel effort. Cette montée de Falzarego, faite ainsi à toute vitesse, est une des choses les plus angoissantes et les plus grandioses qu’on puisse rêver. La nature devient sauvage ; les lacets sont tracés sur des éboulis avec une audace étonnante et parfois en tunnels. On franchit le col, entre les rocs à pic de la Croce da Lago et des Cinque Torri qui semblent, en effet, les ruines d’une vieille enceinte féodale. Puis, c’est la descente rapide, vertigineuse. Un cri d’admiration part des lèvres : brusquement, à un tournant, apparaît tout le val d’Ampezzo, le cirque merveilleux où s’étale, dans la lumière dorée du jour tombant, Cortina, Cortina l’incomparable, perle du Tyrol, enchâssée dans l’émeraude de ses prés, encerclée dans le rubis et la topaze de ses rochers.

Ah ! la joie des voyages, n’est-ce pas de rencontrer parfois des lieux qui, tout de suite, nous sont si chers qu’on voudrait y demeurer et s’y fixer pour la vie ? Souvent, ce ne sont pas les plus beaux, et j’en connais de magnifiques qui éblouissent les yeux sans faire battre le cœur. D’autres, d’un charme plus discret, attirent comme si des liens mystérieux nous enchaînaient à eux. Mais il en est de privilégiés, à la fois splendides et émouvans, qui nous conquièrent si vite qu’à leur premier aspect on sent des larmes sous les paupières, et que l’on ouvre instinctivement les bras comme pour les serrer contre soi…

Malgré tout ce que je savais de Cortina, je ne l’attendais pas si belle. Et il n’est pas de spectacle plus somptueux que la chute du jour contemplée de la Crêpa, sorte de proéminence rocheuse qui s’avance au-dessus du cirque d’Ampezzo. De ce belvédère peu élevé, on embrasse la vallée dans son ensemble, sans que le paysage se réduise, ainsi que de tant de points de vue célèbres, à une sorte de carte géographique en relief. Cortina repose, comme au fond d’une coupe de verdure, dans les parfums de ses prairies aux mille fleurs. Le bloc puissant de la Tofana, la longue chaîne du Pomagagnon que surplombent le Monte Cristallo et le Sorapiss sur la frontière d’Italie, la Rocchetta et les Cinque Torri l’encerclent de toutes parts. Au-dessus des forêts qui couvrent leurs pieds, les murailles nues