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même oubliés, parce qu’ils travaillèrent près de rivaux trop nombreux ou trop grands !

Bellune cite avec orgueil les deux peintres Ricci : Sebastiano, habile décorateur qui vécut surtout à l’étranger, dont Venise a pourtant gardé plusieurs toiles, notamment, dans le vestibule de la chapelle du Palais ducal, le carton de la belle mosaïque des Magistrats adorant le corps de saint Marc qui orne la façade de la basilique ; et son neveu Marco, paysagiste aimable au pinceau facile. Mais la gloire de la ville est surtout associée au nom d’Andréa Brustolon que ses compatriotes appellent volontiers le Phidias des sculpteurs sur bois. Cette renommée n’a cependant guère franchi la région. Burckhardt, si complet d’habitude, ne mentionne même pas le nom de l’artiste, pas plus d’ailleurs qu’il ne parle des autres curiosités de la cité où je crois bien qu’il ne vint pas. M. Corrado Ricci est plus juste quand il compare le sculpteur bellunais à Sansovino et déclare que, « par sa fantaisie, son ardeur et sa maîtrise, il s’éleva au-dessus de presque tous ses contemporains. » Brustolon appartient à ce groupe d’artistes vénitiens qui sont d’admirables décorateurs, mais rien de plus ; lorsque, au lieu de sculpter des figures isolées, grandiloquentes et prétentieuses, ils se bornèrent à orner les églises et les palais de beaux stucs dorés, de meubles gracieusement ou somptueusement fouillés, ils donnèrent des œuvres dont la magnificence sera difficilement surpassée. Tabernacles, crucifix remarquables par l’expression douloureuse du Christ, colonnades d’autel, volutes surchargées de rameaux et de grappes, riches écussons de princes ou d’évêques, meubles de salon avec ornemens de fleurs, de fruits, d’animaux et de figures humaines : les travaux de Brustolon sont très nombreux et épars dans le Tyrol et la Vénétie. Certaines sculptures sont de véritables tableaux en haut-relief. Dans ce genre, les meilleures m’ont paru être, dans l’église Saint-Pierre : la Mort de saint François-Xavier et surtout un Crucifiement où j’ai noté la noble attitude de la Vierge et une Madeleine agenouillée au pied de la croix, dont le regard a une émouvante expression de tendresse et de douleur passionnées.

Bellune, jusqu’à ce que le prolongement sur Pieve di Cadore soit terminé, est tête de ligne d’un chemin de fer qui, tout tranquillement, descend sur Trévise, en côtoyant les rives de la Piave. La vallée, assez large, est encore fermée par d’assez