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sorte d’îlot allemand en territoire italien, comme cela existe aussi au Nord de Vérone, dans le district des Treize-Communes. Plus à l’Ouest, au pied des collines de Marostica, la plaine s’étend vers Vicence, jusqu’aux monts Berici.

Le musée de Bassano est assez important. Il renferme notamment une riche collection de gravures de tous pays et une salle consacrée aux travaux de Canova, originaux ou reproductions. Mais, fidèle à mon habitude, dans la ville des Bassan, ce sont leurs œuvres seules que je veux voir. Rien d’étonnant à ce qu’elles soient nombreuses, puisqu’il y eut jusqu’à six peintres portant le nom de da Ponte. C’est une de ces curieuses familles italiennes, où, de père en fils, on se consacrait à la profession enchantée, la mirabile e clarissima arte di pittura. Et j’ai gardé un souvenir charmant de ce tableau des Offices, où Jacopo s’est représenté avec tous les siens unis dans le culte de l’art.

Les six da Ponte comprennent le grand-père Francesco, le père Jacopo et les quatre fils Francesco, Giambattista, Leandro et Gerolamo. Parmi eux, il n’y a guère que Jacopo qui compte ; c’est lui qui est le Bassan ; c’est à lui que la cité reconnaissante a élevé une statue. Ses œuvres, très nombreuses, sont éparses dans les galeries d’Europe. Le musée de Bassano en possède une douzaine, parmi lesquelles j’ai remarqué le Saint Valentin baptisant une jeune fille, fort joli de composition et surtout de couleur ; les rouges sont ardens et chauds ; la robe de satin blanc de la jeune fille est également rendue d’une façon éclatante. Mais le chef-d’œuvre est la Nativité, d’une fraîcheur et d’une richesse toutes particulières. La lumière y est très habilement concentrée sur la Vierge et un beau paysage bleu encadre la scène. C’est dans ces compositions à la fois pieuses et rustiques, sortes d’idylles agrestes assez agréables, qu’excellait Jacopo. Malheureusement, les toiles ont presque toujours noirci et sont devenues d’une couleur dure qui les rend un peu monotones. Nul n’eut plus que lui la pratique du métier et n’en connut mieux tous les secrets. C’est un praticien accompli, un virtuose de la palette ; mais son art ne va pas plus loin. Ses personnages nô vivent pas et n’ont pas de caractère ; leurs physionomies, leurs mouvemens mêmes sont toujours lourds et insignifians. Ce qu’il faut noter, c’est que le Bassan est le plus naturaliste des peintres vénitiens du XVIe siècle. Comme l’a remarqué judicieusement Charles Blanc, c’est lui qui introduisit,