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fait en meilleurs termes que M. Paul Deschanel dans un discours de tous points excellent, où notre situation intérieure n’est pas analysée avec moins de précision, ni marquée de traits moins saisissans que notre politique étrangère ; mais nous ne nous occupons pour le moment que de celle-ci. « Les événemens de 1905, de 1908, de 1911, ont provoqué, a dit M. Deschanel, un réveil de la conscience nationale. Il y a quelques années, une Affaire a déchiré la France ; aujourd’hui, une autre Affaire l’unit. Elle se tourne avec un redoublement de passion vers son armée et sa marine. Des manifestations patriotiques qui, il y a quelques années, eussent été considérées comme des actes nationalistes, unissent aujourd’hui toute notre jeunesse. Le fifre allemand a sonné le ralliement français. » Rien de plus vrai : le fifre allemand, importun à nos oreilles, nous a rendu le clairon agréable.

Dès lors, nous avons pris plus aisément notre parti de la lenteur des négociations. M. Paul Deschanel a cité, fort à propos, un conseil de Louis XIV, dont il a dit que M. de Kiderlen nous avait appris à apprécier la valeur. Le voici : « Celui qui veut y aller trop vite (il s’agit des traités) est sujet à faire bien des faux pas. Il n’importe pas dans quel temps, mais à quelles conditions une négociation se termine. Il vaut bien mieux achever plus tard les affaires que de les ruiner par la précipitation, et il arrive même souvent que nous retardons, par notre propre impatience, ce que nous avions voulu trop avancer. » Louis XIV n’a jamais mieux parlé et il n’a pas été toujours aussi sage. Éclairés par son expérience, nous continuerons d’être patiens autant qu’il le faudra, et cela d’autant plus aisément que la seconde partie de la négociation est pour nous une coupe amère : nous n’avons aucune hâte de la vider. Il s’y agit des concessions congolaises à faire à l’Allemagne. On a reproché à notre gouvernement d’avoir causé de ces concessions à Berlin avant que le futur statut marocain eût été déterminé : il fallait, a-t-on dit, connaître ce que nous aurions avant de parler de ce que nous le paierions. C’était, en effet, l’ordre logique, mais la logique absolue ne règle pas la marche des conversations diplomatiques, et il est très probable que l’Allemagne ne se serait jamais mise d’accord avec nous sur le Maroc si nous ne lui avions pas donné au moins un aperçu de ce que nous étions disposés à lui céder ailleurs. Les deux parties de la négociation étaient trop intimement liées pour qu’on pût les séparer complètement l’une de l’autre, et il était naturel que l’Allemagne, avant de découvrir et de livrer son jeu, nous demandât de jeter un coup d’œil sur le nôtre.