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Mais l’Allemagne, si elle était d’ailleurs décidée à s’entendre avec nous, a commis une faute, en faisant durer outre mesure la première partie de la négociation. Il y a quelques semaines, la cession territoriale d’une partie du Congo aurait été acceptée avec beaucoup moins de résistance qu’aujourd’hui. L’opinion, chez nous, est devenue nerveuse. Des voies éloquentes se sont fait entendre. L’accent douloureux de la lettre que Mme de Brazza a écrite à M. le président de la République, en rappelant l’œuvre de son mari et des vaillans explorateurs, soldats, administrateurs qui l’ont complétée, a ému. Eh quoi ! cette terre acquise au prix de tant de sang français serait abandonnée à l’Allemagne qui, pour la mériter, n’a pas sacrifié un soldat ni dépensé un mark ? Cette pensée a révolté en nous un sentiment très profond, et lorsque nous ne savons plus quel journal allemand est venu dire qu’il s’agissait là d’une affaire et que les affaires doivent être réglées en dehors de toute sensibilité, il a parlé pour son pays plus que pour le nôtre. Entendons-nous : l’Allemagne joue de la sensibilité aussi bien que personne pour défendre son intérêt dans une affaire ; nous pourrions en citer des preuves nombreuses, mais, cette fois, elle ne saurait vraiment user de ce procédé, puisque c’est nous qui donnons et elle qui prend. Au reste, nous ne discutons pas ; il serait un peu tard pour le faire ; après avoir admis le principe d’une cession territoriale, nous devons nous y tenir ; il ne peut s’agir maintenant que d’une question de quantité ; mais la quantité apparaît énorme, on ne s’était pas attendu à ce qu’elle le serait à ce point. C’est pourquoi on entend dans l’opinion un grondement inquiétant qui pourrait fort bien, si on n’en tenait pas compte, aboutir à une explosion générale. Des écrivains éminens et très différens, comme MM. Albert de Mun et Paul Leroy-Beaulieu, protestent avec force contre ce qui se prépare. La tribune est muette pendant les vacances parlementaires, mais des orateurs comme M. Adrien de Montebello déclarent d’avance qu’ils ne voteront pas l’arrangement. Le gouvernement, à la rentrée des Chambres, rencontrera certainement une opposition dangereuse pour lui et pour son œuvre. Nous ne le souhaitons pas. H serait d’ailleurs injuste de faire retomber sur lui seul la responsabilité de toute une série de fautes dont il n’a commis que les dernières. Sa situation est difficile et même angoissante. M. le président du Conseil, dans un discours sage, prudent, mesuré, qu’il a prononcé le 24 septembre à Alençon, a eu quelque droit de dire : « Une succession de faits, des incidens divers, des actes diplomatiques intervenus avant que le gouvernement que je préside ne prît la direction