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des affaires, ont déterminé dans un pays contigu à nos possessions algériennes une situation qu’il faut éclaircir et régler. » Oui, c’est un lourd héritage qu’a reçu le ministère de M. Caillaux, et tout autre que lui en serait embarrassé. Il a trouvé nos troupes expéditionnaires à Fez et n’a pas eu le bon esprit de les en retirer. Alors l’Allemagne, qui avait prévu, attendu, appelé de ses vœux cette situation, a jugé le moment venu pour elle d’en user. Soit ; qu’elle en use, puisque nous ne pouvons plus l’en empêcher ; mais elle aurait tort d’en abuser, parce qu’alors la corde déjà trop tendue pourrait casser et qu’aucune force humaine n’en renouerait les morceaux. Que l’Allemagne ne s’y trompe pas : son désir était, elle l’a dit, et nous voulons le croire, de résoudre une fois pour toutes les questions pendantes entre la France et elle, afin que les deux pays puissent désormais éprouver l’un à côté de l’autre des sentimens de pleine et de confiante sécurité. Ce résultat, que nous désirons nous aussi, ne sera probablement pas atteint, mais les amis de la paix doivent souhaiter qu’on n’aboutisse pas précisément au résultat contraire et s’efforcer d’en détourner la menace. Aussi l’Allemagne fera-t-elle bien d’aller plus vite dans la seconde partie de la négociation que dans la première et de ne pas la hérisser d’obstacles infranchissables ou trop lents à tourner.

Nous venons de dire que le gouvernement actuel aurait dû revenir de Fez : il l’aurait dû, d’abord parce que nous avions promis de l’évacuer, ensuite parce qu’il était infiniment dangereux d’y rester. Mais notre départ n’aurait pas fait les affaires du gouvernement allemand qui, estimant l’heure opportune, est venu insidieusement nous offrir le protectorat du Maroc. Qu’aurait-il dit si nous lui avions répondu que nous n’avions jamais voulu de ce protectorat et que nous en voulions moins que jamais ? Malheureusement, il n’avait pas à redouter cette réponse et il le savait bien. Nous nous sommes jetés sur l’appât qu’on nous tendait, et du même coup plusieurs questions se sont ouvertes. On nous annonce maintenant qu’aussitôt que nous aurons terminé nos arrangemens avec l’Allemagne, nous nous tournerons du côté de l’Espagne pour en faire un autre avec elle : sans doute, c’est bien ce qu’il faudra faire ; seulement, ce sera difficile. Quant à l’Italie, pourquoi ne pas avouer que nous aurions préféré qu’elle attendît un autre moment pour aller en Tripolitaine ? Mais, cette réserve faite, ajoutons tout de suite qu’elle seule avait le choix de l’heure et que, du moins vis-à-vis de nous, elle avait le droit absolu de faire ce qu’elle fait. Nous sommes liés avec elle par un engagement formel ; elle est assurée de ne rencontrer de notre part aucun obstacle.