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La Tripolitaine est le lot où nous avons reconnu la supériorité de ses intérêts sur les nôtres : pourvu qu’elle respecte les arrangemens que nous avons pris avec d’autres puissances relativement à cette province de l’Empire ottoman, à ses limites, à son hinterland, elle peut y agir à son gré.

Mais nous venons de le dire, la Tripolitaine est une province ottomane : là est la difficulté pour l’Italie, là est l’inquiétude pour l’Europe, car la question d’Orient tout entière peut se trouver subitement posée le jour ou le lendemain du jour où le fragile édifice de l’équilibre oriental aura été une fois de plus ébranlé. Qui pourrait aujourd’hui n’être pas frappé de la connexité qui existe entre les questions méditerranéennes ? Tout s’y tient, chaque partie est plus ou moins solidaire des autres. L’expérience marocaine que nous venons de faire en a apporté une preuve frappante. Il nous a suffi d’aller à Fez pour que l’Espagne allât à Larache et à El-Ksar, et pour que l’Allemagne voulût aller au Congo. L’Italie s’empresse de suivre la même route : il lui aurait fallu une surprenante maîtrise d’elle-même pour résister à la contagion de l’exemple, ou plutôt des exemples qu’on lui a donnés. Et qui sait maintenant si d’autres encore ne suivront pas l’exemple de l’Italie ? Le coup porté à l’intégrité de l’Empire ottoman, ou à ce qui en reste, fera, s’il réussit, terriblement fermenter les esprits dans les Balkans. Tout récemment, — le fait est d’hier, — les puissances qui aiment le mieux la Grèce l’ont empêchée de tenter une entreprise sur la Crète parce qu’elles prévoyaient que les répercussions pourraient s’en étendre très loin. Et la Crète est relativement un mince morceau ! Et l’autorité ottomane y est depuis longtemps nominale et fictive ! Il en est tout autrement de la Tripolitaine où rien encore n’a entamé la domination turque. Si l’Italie s’en empare et s’y établit, qu’arrivera-t-il ? Jusqu’où iront les ricochets ? Nous savons bien, car nous le Usons dans les journaux, que l’Italie aimerait mieux s’entendre avec la Porte que de la violenter. Pourquoi n’obtiendrait-elle pas que la Tripolitaine lui fût cédée à bail ? Elle l’administrerait en respectant la souveraineté du Sultan. Tout se passerait en douceur ; l’acte serait bénin, bénin. Mais tout cela n’est qu’illusion ! Les journaux ottomans déclarent que, si l’Italie poursuit l’exécution de son projet, ses nationaux seront expulsés de Turquie et ses marchandises boycottées. Alors, disent à leur tour les journaux italiens, ce sera la guerre. Eh oui ! ce sera la guerre ; il n’y a pas un autre moyen que la guerre d’arracher à l’Empire ottoman un de ses membres auxquels il tient d’autant plus que c’est le seul qui lui reste sur la