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de leur oisiveté future. » Frayeur vaine. Montalembert avait dix-huit ans, ses études à Sainte-Barbe étaient terminées. Son père, alors ministre de Charles X auprès du roi Bernadotte, l’appela auprès de lui en Suède. Il partit le cœur gros. La fusion de vaste culture intellectuelle et d’exacte discipline religieuse qui s’était opérée en lui si aisément, et que les années de collège, le contact avec tant de jeunes gens incrédules n’avaient fait que rendre plus intime, lui apparaissait déjà comme le but de son apostolat futur, qu’il souhaitait prochain. Le temps qu’il allait passer en Suède, dans la contrainte d’une vie de cour et de salons, lui semblait à l’avance stérile. A peine arrivé à Stockholm, il brûlait déjà de repartir. L’indépendance de sa parole s’accommodait mal d’un milieu qui impose la réserve. Ni les salons suédois, ni les salons diplomatiques n’étaient indulgens aux saillies d’un jeune homme plus sincère que prudent. S’il se laissait aller à prononcer ce mot si cher de « liberté, » les femmes parlaient avec scandale de sa « jeunesse ardente, présomptueuse et folle. » Une amie lui avoua plus tard qu’on l’avait trouvé « pédant et altier. » Il faisait comme jadis au collège, il se réfugiait dans ses livres, il suivait le thème habituel de ses pensées, et ses études philosophiques devenaient ce qu’il appelait lui-même une « entreprise religieuse. « Ce ne serait pas en vain qu’il avait « tant aimé et tant travaillé : » il pouvait aimer encore, travailler encore et bientôt il rentrerait en France plus âgé, plus fort, ayant éclairci le problème qui lui troublait le cœur.

Cette religion qui avait crû en lui comme un amour d’enfance, pourquoi était-elle devenue impopulaire dans son pays ? C’était là son tourment. Par quel renversement singulier la parole qui avait été autrefois la force, la consolation des petits, des pauvres était-elle maintenant rejetée par eux et adoptée au contraire par ceux qui, riches et puissans, gouvernaient la France ? La Restauration a été à quelques égards un grand gouvernement ; elle a libéré le territoire de la présence de l’étranger ; elle a relevé la dignité de la France au dehors : elle a bien géré ses finances ; elle a donné enfin plus de libertés qu’on n’a coutume de le dire et on en a abusé contre elle. Mais ce n’est pas par ces côtés que la jeunesse d’alors la regardait et que la voyait Montalembert lui-même. Au surplus, nous n’avons qu’à la considérer nous-même en ce moment au point de vue religieux.