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de France et les catholiques de France, il cherchait en Suède leurs équivalens et se demandait si le même écart les séparait. Mais les vestiges du catholicisme en Suède étaient faibles : trois cents fidèles au plus avaient opiniâtrement résisté à l’invasion protestante. Si petit que fût ce groupe, il était pourtant curieux à étudier. Ces catholiques étaient libres : s’ils pratiquaient leur vieux culte, ce n’était pas que le pouvoir les y forçât ou que les faveurs officielles les y invitassent. Ils étaient pour la plupart pêcheurs obscurs et pauvres comme ceux de Galilée ; leur religion était fraîche et vivante ; comme une plante naturelle, à chaque génération, elle avait refleuri, la même, au bord des fiords. Un prêtre choisi par Rome retenait dans la fixité du dogme ces imaginations du Nord que la tristesse polaire abat ou exalte. Ils formaient une petite communauté fraternelle, heureuse, quoique peu prospère. Réunis dans leur pauvre chapelle de planches, ils évoquaient quelque souvenir de primitive église. Montalembert en fut frappé et ne l’oublia plus, mais combien son impression fut-elle plus forte encore lorsque, deux ans plus tard, il vit l’Irlande ! Tout un peuple s’y levait pour revendiquer le droit d’être catholique, de croire ce qu’avaient cru ses pères et de rejeter le culte officiel. O’Connell était présent dans chaque âme irlandaise. — De quelle religion êtes-vous, monsieur, demandait à Montalembert un vieil Irlandais qui cheminait avec lui en diligence de Rilkenny à Waterford ? — Catholique. — Alors, disait simplement le vieillard, je vous aime bien. » Ce petit mot, sorti du cœur, il l’entendait répéter au seuil des chaumières, des pauvres cabanes où il aimait à s’arrêter. Il causait avec les paysans, écoutait les enfans balbutier les prières familières, respirait avec eux le souffle de simplicité, de poésie, qui émanait d’un culte dont toute la force était dans le lien de fraternité réciproque. L’évêque, le prêtre ne pouvaient compter que sur leurs « fidèles : » jamais appellation ne fut plus juste, et ces fidèles eux-mêmes n’avaient d’autres amis que leurs pasteurs. Du paysan au prêtre, du prêtre à l’évêque, ce lien d’amour qui semblait rompu en France établissait l’unité d’action et l’unité d’espérance. Si le prêtre irlandais apportait au pauvre troupeau le pain de l’âme dont il avait faim, le pauvre troupeau lui donnait le pain du corps, le vrai pain (quotidien, le grain de son champ, la modique obole. « Le mendiant, disait Montalembert, ne donne