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fermeture de l’école et les cent francs d’amende n’empêchaient pas qu’un appel eût été fait à l’opinion publique, et entendu. Dans ce discours, Montalembert avait libéré son âme ; la condamnation le rejetait plus étroitement encore dans les bras de Lamennais. Il lui sacrifiait définitivement ses velléités d’alliances. Il se vouait à lui, s’incarnait dans ses idées. Il était sa voix, il était sa plume. Lamennais, toujours retiré et soutirant dans la solitude de Juilly, écrivait de loin en loin quelques articles où la passion du polémiste se mêlait à la lucidité du prophète. Montalembert était le jeune lieutenant qui recommence tous les jours l’assaut contre la citadelle de la vieille société. « Les peuples, écrivait-il, ont cité la vieille société à comparaître et, rappelant les siècles écoulés, ils lui ont dit : J’ai eu faim, m’avez-vous donné à manger ? J’ai eu soif, m’avez-vous donné à boire ? J’étais nu, m’avez-vous vêtu ? J’étais délaissé, êtes-vous venu à moi ? J’étais en prison, m’avez-vous visité ? »

Lacordaire, qui avait sur son ami l’ascendant de l’âge, lui montrait avec orgueil l’ascension d’une démocratie là où Montalembert était surtout sensible à la chute définitive de la noblesse dont il était issu. Mais cette noblesse, il voulait la sauver. Il n’admettait pas qu’elle finît dans l’inertie, dans la défaite : le jeune prêtre plébéien triomphait au contraire de la ruine d’une classe qui se séparait du peuple au lieu de le protéger. Sur ce point seulement, les deux frères d’armes divergeaient. Montalembert croyait encore à l’efficacité d’une aristocratie, il l’avait vue fonctionner pour le bien du pays en Angleterre ; il se refusait à la condamner en France. Il aimait son pays, non seulement dans le présent, mais dans le passé, et il n’en voulait rien détruire : il s’agissait au contraire de tout vérifier, car tout pouvait encore servir de ce qui avait servi autrefois. Dans ses joutes avec Lacordaire, le jeune aristocrate se plaisait à cette espèce de modernisme social, qui accordait sa vision de l’avenir à sa fidélité au passé. Lacordaire était plus radical, il était simplement un moderne. Il admirait la France de l’histoire, mais il la roulait « dans le linceul de pourpre où dorment les dieux morts. » Et si le progrès ne pouvait s’accomplir qu’en jetant à bas la vieille armature qui soutenait la hiérarchie sociale, il était prêt à la regarder tomber. Pour lui, la vie sociale de la France datait de la Révolution : les dynasties royales lui apparaissaient comme de respectables et importuns fantômes. Il n’acceptait pas encore