Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 6.djvu/132

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sur sa tête et la menace dans son cœur. Interprète de l’allégresse intime de ce banquet, un convive chantait.

Une porte s’ouvrit, un pli fut remis à Lamennais ; il sortit un instant et rentra calme, souriant, demandant qu’on redît pour lui les couplets qu’il n’avait pas entendus.

Le soir seulement, quand il fut seul avec ses compagnons, il leur lut le document pontifical. La condamnation des idées qu’avait défendues l’Avenir était directe et formelle : le grand rêve social et religieux était frappé de mort. La voix de Lamennais, toujours basse et voilée, tremblait d’émotion. Il marchait de long en large dans la chambre, sombre et agité, répétant : « Il faut nous soumettre. » Il prit la plume et rédigea une déclaration d’obéissance complète aux ordres de Rome.

Montalembert goûtait une consolation secrète. Son dévouement n’avait pas été vain. A mettre ses pas dans les pas de M. Féli, il avait empêché celui-ci de s’égarer ; il le voyait avec émotion s’arrêter à ce terme d’obéissance ; il était muet de surprise et d’admiration. Mais sa joie fut courte : elle ne devait pas avoir de lendemain. Lamennais s’était laissé surprendre par l’atmosphère de paix qui l’entourait. Son âme avait été attendrie par la sympathie des catholiques bavarois, hommes d’étude que ses idées généreuses avaient d’autant plus séduits qu’ils étaient citoyens d’un petit pays heureux et policé, où la théorie de la liberté gardait tout son attrait. Dès qu’ils furent en France, nos pèlerins éprouvèrent d’autres impressions. Ce blâme de Rome, cette condamnation, ils la retrouvaient partout. Sur les fronts des évêques, point de généreux oubli, point d’acquiescement confiant à leur obéissance difficile, et sur les lèvres des libéraux philosophes passait l’ironie. Ainsi adversaires catholiques et adversaires libéraux, tous les prophètes de malheur avaient eu raison contre eux et raison d’eux. Seul Victor Hugo, avec sa grandiloquence magnanime, ouvrit à Lamennais ses bras humanitaires. Le vaincu refusa de s’y jeter : il s’enfuit à la Chesnaie avec Lacordaire.

Montalembert resta seul dans ce désert du cœur qui était sa pire souffrance et lui avait fait dire, après son discours à la Chambre des Pairs en faveur de l’Ecole libre : » Je ne pensais pas à un seul homme, à une seule femme dont j’eusse désiré la présence ou regretté l’absence. Cet isolement-là m’est affreux et empoisonne ma vie. » Cet isolement, il le goûtait avec une