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lointain et silencieux exil, tantôt par ces distinctions factices, ces soumissions de fait dont il dégageait son esprit, « soumission parfaite dans l’ordre religieux, liberté entière dans l’ordre temporel, et cela sans discussions, si, ajoutait-il, je peux les éviter. » « Sans discussions, si je peux les éviter, » toute la ruse était là Pour les éviter, il écrivait tout ce qu’on voulait, se vengeant par un rire de dérision intérieure de l’inanité de son obéissance. Au bord du mensonge, halluciné, il marchait comme les somnambules au bord de l’abîme, à pas subtils, en songeant à cette hiérarchie solennelle qui avait trompé l’attente du monde et qu’il allait tromper à son tour. Elle croyait le tenir par les sermens qu’il lui avait jurés ; elle ne le tenait que par sa robe, sa défroque de prêtre, seule dépouille de lui qu’elle garderait dans sa main de fer, tandis qu’il courrait au salut du monde. « Laissant de côté, avait-il écrit, la question de vérité, je résolus de signer non seulement ce qu’on me demandait, mais encore sans exception tout ce qu’on voudrait, fût-ce même la déclaration que le Pape est Dieu, le grand Dieu du ciel et de la terre et qu’il doit être adoré lui seul. Mais en même temps je me décidais à cesser désormais toute fonction sacerdotale, ce que j’ai fait. »

Enfin il n’y tient plus, il tire du tiroir le manuscrit qu’il a montré à Montalembert à la veille de leurs adieux et qu’il a promis de ne pas publier ; il le relit, il le livre à l’imprimeur et, dans une lettre brève, enjouée, il annonce sa résolution de publier Les paroles d’un croyant. C’en était trop : l’ancien disciple devient le juge et s’insurge contre la violation d’une promesse qui était le seul point d’appui de ses dernières espérances. « J’ai trouvé la grande loi du progrès de l’humanité, » lui avait écrit Lamennais, qui s’était aussitôt enveloppé de mystère en ajoutant : « Nous nous rejoindrons, j’espère, là-haut, mais nous marcherons par deux voies sur la terre. » Deux voies qui ne pouvaient plus se confondre ! Lamennais se vantait d’avoir remplacé par des points les passages de son livre qui insultaient le Pape, mais ses ennemis sauraient bien percer le masque à jour, l’arracher et forcer le prêtre qui simulait encore la douceur et l’obéissance à montrer au monde sa face de révolté. Voir son maître convaincu de mensonge, désespérait Montalembert. C’en est fait de la fascination et il écrit. Sa lettre est l’explosion d’une conscience qui fait appel à une autre