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dans la flamme de son éloquence. La parole coulera entre eux « dans l’intimité des doux loisirs, abondante, fraîche, limpide à sa sortie du cœur comme l’eau de la fontaine Egérie. Tu t’en souviens ! » Il l’appelle à la Chesnaie. Il disait aussi : « The deed is done, » et cette pensée le faisait entrer dans une sorte d’extase à laquelle, poète, il associait la nature, les bois, les oiseaux, les poissons de son étang, les rumeurs de la nuit, tout ce qui lui avait traduit les plaintes de l’humanité et lui apportait maintenant ses chants de reconnaissance. Mais entre ce tentateur si tendre qui lui ouvrait ses bras et cette Eglise rigoureuse qui avait rebuté ses généreux enthousiasmes, Montalembert avait choisi l’Église. Elle représentait pour lui ce qu’il avait appelé tout jeune « l’inévitable religion. » Il allait plier le genou devant elle, abdiquer ses rêves personnels, subir sa sévère loi de paix.

Un dernier et faible espoir lui restait, c’est que Lamennais condamné, acculé à la révolte publique qui briserait sa vie, ou à une soumission dernière qui en sauverait l’unité, s’inclinerait, retirerait son livre et se tairait. Si fragile que fût cet espoir, il y suspendait tous ses vœux ; il reprenait avec Lamennais tous ses argumens, il les cherchait dans le ciel et sur la terre, dans la volonté de Dieu et dans la conscience des hommes, « Vous avez tenté une entreprise à jamais glorieuse, à jamais sublime, lui disait-il, de ramener Dieu sous la tente des peuples et de la liberté. Il est évident que le Dieu des Chrétiens, le Dieu de l’Église, le Dieu de nos pères et du monde catholique, le seul Dieu sûr et positif ne veut pas ce que vous voulez. » Et, en appelant de Lamennais à Lamennais lui-même, il ajoutait : « J’ouvre votre Imitation et j’y trouve ces mots de votre main : Qu’est-ce que l’erreur ? La pensée d’un esprit faillible qui ne reconnaît pas de maître et n’obéit qu’à soi. » Et encore : « Si votre sentiment est bon et qu’à cause de Dieu vous l’abandonniez pour en suivre un autre, vous en retirerez plus d’avantages. » Ces sentences, Lamennais les avait écrites, après ses longues méditations de prêtre, à côté du texte où l’humanité avait trouvé autrefois tant de consolations. Allait-il les renier ? Cette « conscience » qui l’inspirait était-elle infaillible et « le Maître dans ses divines leçons, n’avait-il pas invité les hommes à partager la foi des petits enfans qui n’ont pas de conscience ? » Comparant Lamennais à Luther : « Il y a du