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l’approbation préalable du gouvernement. Que n’en a-t-il référé à Paris ? Comment n’a-t-il pas compris qu’il pouvait y avoir des motifs politiques d’un ordre délicat et impérieux dont le gouvernement était seul juge, qui ne permettaient pas de recourir à des procédés aussi aveuglément expéditifs ? C’est à peine si un danger très pressant et très certain pour la sécurité des troupes sous ses ordres aurait pu excuser sa précipitation, et assurément ce danger n’existait pas. Que reproche-t-on, en effet, à M. Destailleur ? On a parlé de concussion dans l’achat et la revente de terrains, d’opérations sur le change et même de facilités données à la contrebande de guerre. Nous ne croirons à de pareils faits que lorsqu’ils seront prouvés, et nous espérons bien qu’ils ne le seront pas. Au surplus, dans une autre version donnée à la décharge du général Toutéé, MM. Destailleur, Lorgeou et Pandori n’ont été arrêtés que pour n’avoir pas voulu laisser contrôler leurs caisses. Alors la question est de savoir si le général Toutée avait le droit de les contrôler, et nous avouons n’être pas en mesure de la trancher. Mais, réduite à ces termes, la question est des plus médiocres ; elle devait être résolue par un recours aux ministres compétens, et la disproportion est vraiment énorme entre l’acte du général Toutée et les motifs qui l’ont déterminé.

Des actes pareils, lorsqu’on songe à toutes les conséquences qu’ils peuvent produire, causent une profonde affliction. D’autres, beaucoup moins graves sans doute, montrent aussi cependant le décousu de toutes nos affaires. Ainsi le bruit a couru un jour que M. Lutaud, gouverneur général de l’Algérie, venait de donner sa démission. C’est mi fait dont, à la rigueur, on pourrait se consoler. Quand M. Lutaud, le plus à poigne de nos préfets, a été nommé gouverneur général, nous avons fait des réserves sur l’opportunité de ce choix ; mais il est fait une trop grande instabilité à la tête d’une administration aussi considérable que celle de l’Algérie présente des inconvéniens sérieux ; puisque M. Lutaud est gouverneur, qu’il le reste jusqu’à ce que, dans sa situation nouvelle, il ait fait ses preuves en bien ou en mal. Mais pourquoi sa démission ? Parce qu’on lui a donné un secrétaire général sans avoir pris son agrément et sans doute de préférence à un candidat qu’il avait recommandé. Il a vu là un acte de défiance à son égard, alors qu’il n’y avait peut-être que de l’inadvertance, de la négligence, de l’indifférence, enfin de la légèreté. Quoi qu’il en soit, M. Lutaud avait raison. Un homme chargé d’une aussi lourde responsabilité ne doit pas se laisser imposer comme collaborateur intime un fonctionnaire dont il n’est pas sûr. C’est pourquoi nous