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place précise dans un ensemble décoratif et idéographique réglé d’avance. Aucune œuvre, fût-elle du plus grand maître, n’a été admise dans cette Grotta, si elle ne concourait pas à l’effet voulu. Ces quatre énigmes sont donc quatre fragmens d’une même pensée. Laquelle ? — C’est ce que nous allons voir.

En regardant son maschio dessiné par Léonard de Vinci, nous avons soupçonné ce que devait être, au naturel, le visage d’Isabelle d’Este ; en suivant ses lettres et les témoignages de ses contemporains, d’après MM. Luzio et Rénier, nous avons vu ce que fut sa vie subie et sa vie voulue ; mais, pour bien démêler son idéal, ce ne sont plus les textes, ce sont les tableaux qu’il nous faut lire. Ils révèlent non ce qu’elle a trouvé dans la vie, mais ce qu’elle a rêvé d’y mettre et, ce qu’elle n’a mis que dans sa collection.


I. — SES « INVENTIONS » POÉTIQUES

Regardons, par exemple, le premier panneau de Mantegna placé à gauche de la Vierge de la Victoire. Pour le passant ignorant, c’est une rencontre fort divertissante, parce qu’elle est hétéroclite, mais tout à fait inintelligible. La figurante de quelque fête mythologique, comme on en donnait souvent au XVIe siècle, chasse d’un parc princier un tas de mendians, ribaudes, estropiés, culs-de-jatte, hommes-singes et autres phénomènes de la cour des Miracles, qui s’y étaient introduits indûment, peut-être pour mendier, peut-être pour voir les rocailles colorées en rose par un feu de Bengale ; — ce qui est, en effet, fort curieux. Les pauvres gens ne savent par où fuir et les voilà à mi-corps dans un bassin, les plus valides portant leurs camarades impotens, dérangeant les nénuphars et les plantains ; leur marmaille les suit dégringolant du haut des charmilles plus vite qu’elle n’y était grimpée, tandis qu’un arbre étique, entortillé de devises comme un mirliton, lève les bras au ciel de stupéfaction devant cet épouvantable bat-l’eau…

Qu’est-ce que tout ceci veut dire ? On comprend bien que des gens si difformes et peu vêtus n’aient pas dû entrer dans un jardin où les ifs sont si bien taillés, pendant que de belles dames se sont déguisées en divinités de l’Olympe ; toutefois, la brutale façon dont on les mène inspire un peu de pitié. Or ceci,