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il avait charge : peut-être cela lui rendait-il plus facile une certaine insouciance.

Par ailleurs, les poudriers savaient être agréables au gouvernement toutes les fois qu’en évitant une dépense ils donnaient satisfaction à la tendance de nos pouvoirs publics à lésiner sur les frais de défense nationale. Une industrie d’État subit l’influence des motifs politiques. Les protections politiques y jouent aussi un grand rôle. Elles paraissent être intervenues en plus d’une occasion et avoir favorisé les licences d’un personnel à qui la politique était permise. Sa situation à la tête d’une population ouvrière lui donnait un rôle électoral, et l’on s’intéressait plus sans doute à son attitude sociale, dont le retentissement se traduisait par des scrutins, qu’à son attitude professionnelle qui ne préparait que des catastrophes.

Nous n’en avons pas fini avec le monopole. Après lui avoir reproché ce qu’il a fait, il faut encore lui reprocher ce qu’il a omis. Depuis l’invention de la poudre sans fumée, les progrès, dans ce domaine, ont été chez nous rares et lents : on a peu travaillé et en peu d’endroits. Si l’Artillerie de terre n’avait pas obtenu une poudrerie, les études théoriques admises à influer sur notre armement seraient restées enfermées dans l’unique laboratoire central des Poudres et Salpêtres. A l’étranger, au contraire, où la découverte française avait suscité une émulation des plus vives, on n’a pas cessé de beaucoup travailler.

Les étrangers ne surent pas tout de suite retrouver l’invention de M. Vieille. Quand ils voulurent imiter notre poudre sans fumée, au lieu de faire appel au coton-poudre, c’est-à-dire à la nitro-cellulose, ils s’adressèrent à la nitro-glycérine. Leurs poudres, fabriquées d’abord par le chimiste suédois Nobel, sous le nom de cordites, balistites, lyddites, etc., furent au début très inférieures à la nôtre, beaucoup plus brisantes : elles lui sont devenues équivalentes par l’ensemble de leurs qualités. On y a incorporé du coton-poudre ; on a peu à peu diminué le pourcentage de nitro-glycérine jusqu’à 10 ou 15 p. 100 seulement. A mesure qu’elles se rapprochaient de notre poudre B, ces poudres s’amélioraient : c’est une raison pour nous de ne pas changer à la légère le type de la nôtre. Mais en Angleterre, en Allemagne, aux Etats-Unis, on les faisait avec beaucoup plus de soin qu’en France. On y emploie des cotons parfaitement purs et des produits chimiques de première qualité, laissés