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apprenait, paraît-il, aux petits enfans, dans les écoles musulmanes, et qui se chantait dans les rues :


Puissent les musulmans, les religieux,
Les croyans de Dieu,
Abdul-Hamid le Sultan
Tuer les Italiens !


Au milieu de ce tumulte et de ce frémissement de révolte, nous n’avions pour nous réconforter que le spectacle de quelques maigres patrouilles, cinq ou six artilleurs ou chasseurs d’Afrique qui, de loin en loin, passaient, d’un air morne, et qui avaient mission de nous défendre contre une population de plus de 100 000 musulmans. Nous étions tous fort mal à l’aise,

Le lendemain s’acheva dans un énervement toujours mêlé de crainte. Les agressions et les assassinats continuaient un peu partout. Les Juifs prenaient d’assaut les trains en partance pour La Goulette. On prétendait que, dans les provinces, au Kef, à Sousse et à Kairouan, des soulèvemens se dessinaient. Des fonctionnaires en vue, qui habitent les quartiers indigènes, n’osaient pas rentrer chez eux, par peur d’un coup de fusil anonyme, au coin d’une ruelle, et l’on dut hospitaliser à la Résidence le consul général d’Italie, particulièrement désigné aux fureurs populaires. Enfin, la Résidence elle-même était gardée par un piquet de tirailleurs : c’était le plus humiliant pour nous.

Bien que le mouvement fût surtout anti-italien, des Français se voyaient fréquemment molestés ou assaillis. Il est vrai qu’après les avoir battus ou blessés, certains agresseurs leur demandaient s’ils étaient Français ou Italiens. On cite même le cas d’un Arabe qui, après avoir attaqué, par méprise, un de nos compatriotes, s’excusa de l’erreur grande et poussa même la platitude jusqu’à lui baiser la main. Toutefois, comme on ne porte pas sa nationalité écrite sur sa figure, pour éviter des désagréables confusions, les Européens se tenaient très cois dans leurs logis.

Trois jours après l’émeute, — et malgré l’arrivée de quelques renforts, — la sécurité paraissait toujours aussi précaire. Je me résolus cependant à partir pour Carthage. J’y trouvai le calme qui convient aux ruines et à la majesté de ce grand paysage historique. Au Musée Lavigerie, le directeur,