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l’aimable et savant P. Delattre, qui voulut bien m’entretenir, me prodigua les paroles rassurantes. Quelques jeunes Pères Blancs, qui rentraient de Tunis, nous crièrent, en passant sous le préau :

— C’est fini I Tout est tranquille !

Et puis, comme je sortais du couvent, j’aperçus un agent de police et quelques soldats qui venaient se mettre en faction au sommet de la colline de Byrsa. Je demandai ce que signifiait cet appareil belliqueux. Un prêtre, qui me suivait, me dit :

— Il paraît que les Arabes de Sidi-Bou-Saïd vont attaquer Carthage, à quatre heures ! On vient d’avertir, par téléphone, le receveur des postes !

Etait-ce donc vrai ? Comme au temps de Salammbô, les Barbares étaient en marche contre Carthage ?… Pourtant, rien de suspect ne se décelait aux alentours ! Pure imagination sans doute, ou simple menace prise au sérieux par des gens épouvantés ! Il n’y avait, au bas de la colline, qu’une noce indigène, qui s’avançait dans un tapage assourdissant de noubas et de tambourins.

Mais, quand nous arrivâmes en gare de La Goulette, une bande d’Arabes cerna le tramway électrique, en brandissant des matraques. Les portières claquaient, les glaces s’abaissaient fébrilement : « Qu’est-ce qu’il y a ? Qu’est-ce que c’est encore ? »

— C’est la révolution ! me dit le conducteur du train, un Italien, qui était blême de peur.

Au bout de dix minutes de clameurs et d’effroi, le train démarra je ne sais comment, tandis que le conducteur, mal remis de son émotion, nous contait :

— Hier, ils nous ont tiré des coups de fusil. Le wattman a failli être tué ! Tous les voyageurs se couchaient sous les banquettes !…

Là-dessus, nouvel affolement dans le wagon. Chacun cherchait un abri derrière les portes de communication. Certains voulaient descendre, exigeaient qu’on arrêtât le train. Ce fut ainsi jusqu’à Tunis.

Sans doute, nous pouvions lire sur les murs de la ville le texte en trois langues d’un décret promulgué par Son Altesse le Bey, « possesseur du Royaume de Tunis, » lequel prohibait les attroupemens sur la voie publique et le port des armes « apparentes ou secrètes. » Mais, pour assurer l’exécution de ce beau