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depuis longtemps, que les causes eu sont plus ou moins complexes, et que, dans ses manifestations, elle a été, en somme, une explosion de haine contre les étrangers.


Pour s’en convaincre, il suffisait d’ouvrir les yeux et de regarder les figures dans les rues de Tunis.

Chez tous les indigènes, quels qu’ils fussent, l’habituelle expression de mépris et de répulsion pour l’Européen s’était singulièrement accentuée. Les têtes se redressaient. Sur tous les visages, il y avait un frémissement d’orgueil et de joie mal contenue. Dans les couloirs des administrations, les chaouchs eux-mêmes vous répondaient avec arrogance ou vous toisaient avec dédain. Le lendemain de l’émeute, un haut fonctionnaire médisait : « Depuis hier, je ne reconnais plus mes employés ! Leurs regards, comme leurs altitudes, sont changés. On dirait qu’une étincelle électrique les a touchés. Une effervescence plus ou moins déguisée les agite, comme si un mot d’ordre venait de passer dans tous mes bureaux. Je sens, chez tous mes subalternes indigènes, une connivence, un mauvais vouloir général, pour ne pas dire une hostilité déclarée. »

La peur des représailles tempérait heureusement cette hostilité. Les Arabes armés de matraques, qui rasaient les murs de la ville européenne, cachaient souvent, sous une apparente impassibilité, leur terreur d’être arrêtés par la police, ou assassinés par des bandes italiennes. Le double jeu des physionomies, qui exprimaient alternativement la férocité et l’humilité feinte, était un spectacle des plus saisissans. Je me rappelle la singulière mimique d’un portefaix qui était appuyé contre une colonne de réverbère, devant une terrasse décale. De temps en temps, d’un geste négligent, l’homme palpait sous sa veste une arme cachée, revolver ou couteau. Intrigué par ce manège, un consommateur l’appela. Le portefaix s’avança avec un air soumis de bon domestique, comme pour recevoir une commission :

— Qu’est-ce que tu caches là, sous ta veste ?

Immédiatement, l’individu détala, serrant son arme contre sa poitrine et lançant au Roumi un de ces regards de haine qui voudrait hier et qui s’exaspère de son impuissance. En un clin