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contrariété s’était tournée en désir sur le bien qu’on lui avait dit de Mlle de Mirabeau et du fameux Ami des Hommes. Il comptait alors que son mariage pourrait avoir lieu en juin ou juillet. Mais août passa ; et en septembre arriva une lettre du vieux marquis qui alléguait, pour reculer encore, un dérangement de la santé de sa femme et les ménagemens dus à celle de son fils, que l’ardeur de la saison et l’incommodité des chaises de poste risquaient d’éprouver ! Or, tout était prêt au Bignon pour la noce et pour le festin, les invitations étaient lancées, Louise était là, ainsi que son frère Boniface et le ménage du Saillant qui devaient avoir regagné ensemble le Limousin dans la première semaine d’octobre, au plus tard, pour les ventes après vendanges : « Oh ! grommelait l’Ami des Hommes, le moyen que ce départ ne soit pas un coup de poignard pour une jeune personne infiniment sensible, instruite depuis longtemps, qui raisonne dans sa tête et qui n’est pas d’âge à penser que le froid ou le chaud de Provence fasse quelque chose à un homme de vingt ans ! » Il avait de l’humeur ; il eut de l’alarme au courrier suivant.

On se croyait d’accord sur le contrat ; et voici que M. de Cabris père demandait des sûretés nouvelles pour l’acquittement d’une somme de 30 000 livres que le bailli avait promis de compter à Louise, quand et comme il pourrait, pour rendre sa dot égale à celle de Mme du Saillant à qui sa grand’mère et marraine Vassan avait, en la mariant, donné somme pareille. M. de Cabris voulait au moins « un billet momentané ; » mais le bailli n’en pouvait souscrire d’aucune sorte, et il se tenait pour très offensé de la demande. Comme religieux profès, il était mort civilement et ne possédait rien qu’en viager. Quelqu’un s’interposa et régla cette difficulté. « Eh ! monsieur, disait elle-même Mme de Cabris à son vieux époux, nous ne sommes pas à cela près ! M. le bailli ne peut contracter en aucune manière, il fera ce qu’il pourra. — Eh bien ! concéda le bonhomme à son fils, quand M. le bailli vous donnera quelque chose, vous irez le manger à Paris. » Cette concession faite, il tomba malade et menaça ruine d’esprit comme de corps. Son fils n’osa plus le quitter ; et Mme de Cabris dut solliciter de l’Ami des Hommes un nouveau délai « au nom de l’Etre suprême, » en offrant les assurances les plus fortes qu’elle n’aurait jamais d’autre bru que Mlle de Mirabeau. Il fallut encore en passer par