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III. — L’ENLÈVEMENT DU COMTE DE MIRABEAU

A la plainte en assassinat du baron de Villeneuve-Mouans, Mirabeau et Louise avaient opposé une plainte en diffamation dont ils avaient convenu de ne se désister pour aucune considération. Cependant, Louise en fit bientôt le sacrifice à son père qui le lui demandait instamment, et M. de Briançon fut chargé d’en aviser Mirabeau. Celui-ci se fâcha, accusa sa sœur de perfidie et rompit avec elle. Mais dans les premiers jours de l’année suivante (1776), il dut renouer de lui-même. Abandonné par sa femme, leurré par son père, désespérant de recouvrer de sitôt sa liberté et son état, il s’était livré, après des combats méritoires, à sa passion naissante pour la jeune marquise de Monnier. Le 13 décembre, ces amans furent « heureux. » Leur vertige fut court. Sophie, simple et crédule, droite et invincible dans ses affections, ne s’était pas donnée pour se reprendre. Mirabeau, mis en demeure de rentrer au château de Joux et de ne plus en redescendre à Pontarlier sans l’autorisation du commandant de ce château, disparut dans la nuit de l’Epiphanie et se tint d’abord caché dans la petite ville. Du fond de ses retraites précaires, il appela sa mère et Louise à son secours. L’une et l’autre lui répondirent sur-le-champ avec un dévouement entier. Mais l’influence de Louise devint tout de suite prépondérante.

Louise commença par prêcher à son frère l’abandon de tous projets extrêmes. Que n’imitait-il plutôt sa conduite à elle ? Sa liaison avec M. de Briançon n’éprouvait-elle pas des gênes et des contradictions ? Elle n’en avait pas moins su ménager les apparences et maintenir M. de Cabris dans une séparation de fait qu’il devait être bien plus facile à Sophie d’imposer à un mari rendu presque inexistant par son âge et ses infirmités.


Vous êtes malheureux, mon cher frère, lui écrivit-elle de Grasse le 31 janvier 1776 : le malheur vous donne un droit sûr à l’indulgence d’une sœur tendre et sensible. Je vous plains, je voudrais vous secourir, je voudrais me sacrifier pour vous sauver d’une perte que je vois presque inévitable… et comment le puis-je ? Je sens que tu t’es fait un fort irréparable. J’ignore le détail de tes projets. La lettre de ton amie est froide et sage ; elle m’aurait rassurée si je n’avais pas éprouvé que l’instant qui suit celui d’un délire extrême est souvent calme. Ce n’est que la réflexion qui nous fait reconnaître les sottises de l’amour ; notre premier mouvement, est toujours de nous applaudir et de jouir du triomphe imaginaire d’être élevé