Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 6.djvu/631

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avaient festoyé partout sans compter, et fait chez des bijoutiers toute sorte d’achats et d’échanges. Or, la Raucourt avait soustrait à ses créanciers le plus possible d’objets précieux ; elle avait intérêt à s’en défaire par la vente ou le troc ; et sauf à la scène où elle jouait les Hermiones, c’était une coquine fort gaie. Dans le fait, Mme de Cabris avait vendu quelques-uns de ses diamans, ainsi que des bijoux et dentelles appartenant à Sophie de Monnier ; et Mirabeau avait fait confectionner des chaînes, bagues et bracelets en cheveux, ainsi que plusieurs cachets à nobles ou tendres devises, dont il était grand amateur.

Surveillée, serrée de près et sujette à prendre l’alarme facilement, la petite troupe rebroussa tout à coup chemin et vint se terrer, le lundi 24 juin, au château de Mlle de la Tour-Boulieu. Elle y demeura paisiblement jusqu’au dimanche où Mirabeau et Briançon prirent des bateliers pour les conduire à Lyon. Ils débarquèrent en aval de cette ville, au port de Grange-Rouge, non sans bruit. Une douzaine de bateliers les assaillirent et les lapidèrent à propos de quelque mécompte dans le règlement du voyage. Mirabeau déchargea sur eux par deux fois son pistolet à quatre coups, qui rata, et il se vit arracher cette arme. Il se dégagea non sans peine à coups de pied et de poing, tandis que Briançon, qui avait provoqué cette bagarre, se dérobait au nombre par la fuite. Après s’être rejoints sains et saufs, ils faillirent en découdre entre eux, l’un ayant accusé l’autre de lâcheté. Mais nécessité n’a pas de rancune ; elle les réconcilia.

Un traiteur de la place du Plâtre, qui tenait tout proche, rue Pizay, un hôtel garni sans enseigne, leur loua ici, moyennant 72 livres payées d’avance, un petit logement à deux lits que Mme de Cabris et Mlle de la Tour-Boulieu ne tardèrent pas à venir occuper avec eux pendant quelques jours. Le traiteur leur envoyait à manger par une servante qui ne s’étonnait pas d’être toujours retenue à la porte, qu’on lui entre-bâillait seulement ; le local n’en voyait pas d’autres. La rue Pizay n’était pas une rue mal famée ; elle avait toutefois un branchement, appelé la rue du Petit-Pizay, où la basse galanterie prenait et prend encore aujourd’hui ses quartiers. On allait de là en quelques minutes au couvent de la Déserte et au bord du Rhône. Le fidèle valet Saint-Jean et un gendarme, M. de Curieux, ami de Briançon, faisaient bonne garde aux environs. Ils’ apportèrent