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mains, et qu’on paye au jour la journée. Cette espèce d’hommes forme la plus grande partie d’une nation : c’est son sort qu’un bon gouvernement doit avoir principalement en vue. Si le journalier est misérable, la nation est misérable. » L’article Travail, où l’on sent la même griffe, est plus qu’une apologie ; c’est un dithyrambe, une hymne en deux strophes : « Travail, occupation journalière à laquelle l’homme est condamné par son besoin, et à laquelle il doit en même temps sa santé, sa subsistance, sa sérénité, son bon sens et sa vertu peut-être. L’homme regarde le travail comme une peine, et conséquemment comme l’ennemi de son repos ; c’est, au contraire, la source de tous ses plaisirs et le remède le plus sûr contre l’ennui… Le travail du corps, dit M. de la Rochefoucauld, délivre des peines de l’esprit, et c’est ce qui rend les pauvres heureux. La mythologie, qui le considéroit comme un mal, l’a fait naître de l’Érèbe et de la Nuit. »

Les articles Journée, Ouvrier, Salaire, Travailleur ne contiennent guère que des définitions. L’article Mercenaire est un peu guindé : « Mercenaire, se dit de tout homme dont on paie le travail. Il y a dans l’État des métiers qui sembleroient ne devoir jamais être mercenaires : ce sont ceux que récompense la gloire ou même la considération. » Mais écoutez l’article Peuple. Je dis bien : écoutez, car il parle plus qu’il n’est écrit. Pas moyen de ne point le citer, ni de l’abréger malgré sa longueur. On y entend le cri des temps qui vont venir, et, si l’on regarde en arrière, on y mesure d’un seul coup d’œil tout le chemin parcouru depuis Domat, depuis la fin du XVIIe siècle. Il faut donc le donner presque sans coupure. Aussi bien est-ce, en raccourci, presque toute l’Encyclopédie, qui est une bonne part de la Révolution ; ici la grande crise s’ouvre, elle est ouverte :


… Autrefois, en France, le peuple étoit regardé comme la partie la plus utile, la plus précieuse, et par conséquent la plus respectable de la nation. Alors on croyoit que le peuple pouvoit occuper une place dans les états généraux, et les parlemens du royaume ne faisoient qu’une raison de celle du peuple et de la leur. Les idées ont changé, et même la classe des hommes faits pour composer le peuple se rétrécit tous les jours davantage. Autrefois le peuple étoit l’état général de la nation, simplement opposé à celui des grands et des nobles. Il renfermoit les laboureurs, les ouvriers, les artisans, les négocians, les financiers, les gens de lettres et les gens de loix. Mais un homme de beaucoup d’esprit, qui a publié, il y a près de vingt ans, une dissertation sur la nature du peuple, pense que ce