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plus attendre que deux ans, — à l’arrêt du Conseil du 30 octobre 1767 : « Veut et entend Sa Majesté qu’ils (les marchands en gros) soient réputés vivant noblement… et jouissent… de l’exemption de la milice pour eux et leurs enfans et du privilège de porter l’épée[1]. » Mais, sur un mot de Vanderk fils : « le préjugé est malheureusement si fort ! » M. Vanderk père s’exalte, il vaticine presque :


Un préjugé ! un tel préjugé n’est rien aux yeux de la raison. — M. VANDERK FILS. Cela n’empêche pas que le commerce ne soit considéré comme un état. — M. VANDERK PERE. Quel état, mon fils, que celui d’un homme qui d’un trait de plume se fait obéir d’un bout de l’univers à l’autre ! Son nom, son seing n’a pas besoin, comme la monnaie d’un souverain, que la valeur du métal serve de caution à l’empreinte, sa personne a tout fait : il a signé, cela suffit. — M. VANDERK FILS. J’en conviens, mais… — M. VANDERK PERE. Ce n’est pas un temple, ce n’est pas une seule nation qu’il sert ; il les sert toutes, et en est servi, c’est l’homme de l’univers. — M. VANDERK FILS. Cela peut être vrai ; mais enfin, en lui-même, qu’a-t-il de respectable ? — M. VANDERK PERE. De respectable ! Ce qui légitime dans un gentilhomme les droits de la naissance ; ce qui fait la base de ses titres ; la droiture, l’honneur, la probité. — M. VANDERK FILS. Votre conduite, mon père. — M. VANDERK PERE. Quelques particuliers audacieux font armer les rois, la guerre s’allume, tout s’embrase, l’Europe est divisée ; mais ce négociant, anglais, hollandais, russe ou chinois, n’en est pas moins l’ami de mon cœur ; nous sommes sur la superficie de la terre autant de fils de soie qui lient ensemble les nations, et les ramènent à la paix par la nécessité du commerce : voilà, mon fils, ce que c’est qu’un honnête négociant. — M. VANDERK FILS. Et le gentilhomme donc, et le militaire ? — M. VANDERK PERE. Je ne connais que deux états au-dessus du commerçant (en supposant encore qu’il y ait quelque différence entre ceux qui font le mieux qu’ils peuvent dans le rang où le ciel les a placés) : je ne connais que deux états, le magistrat qui fait parler les lois et le guerrier qui défend la patrie.


Je sais bien que M. Vanderk a une sœur qui s’aigrit, pauvre et dédaigneuse, au fond de quelque manoir du Herri, qui ne consent à venir au mariage de sa nièce que parce qu’elle « épouse un homme de qualité » bien que de robe, et qui n’y vient encore qu’à la condition de passer « pour une parente éloignée, pour une protectrice de la famille. » Je sais aussi que, dans Les femmes vengées ou les feintes infidélités, du même Sedaine (1775), lorsque « la présidente » feint, par

  1. Cf. Roger Picard, les Cahiers de 1789 et les Classes ouvrières, p. 34.