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vagabondage et la mendicité, la marchandise, la judicature et les conseils du Roi, le haut commerce, la propriété rurale, le culte et les charges inférieures. Encore une fois, c’est absurde, et cela ne signifierait rien, si cela ne signifiait du moins qu’on a définitivement perdu le sens de l’immobilité et de l’inégalité sociale. Mais Restif de la Bretonne nous le « signifie » bien plus directement, presque brutalement, à deux ou trois reprises. Pour lui, la hiérarchie des professions est toute brouillée, quoiqu’il lui reste quelque petit scrupule. Son « savetier du coin, » son « père Lavale, » dit, par exemple : « Mon état est honnête, puisqu’il est utile à l’Etat, mais il n’est pas honorable[1]. » Seulement, c’est un savetier, et Restif est un typographe ! Les hommes continuent ainsi à voir des hommes au-dessous d’eux quand ils ne veulent plus en voir au-dessus ; ils n’ont guère que cette façon-là de ne point souffrir d’inégalité. D’ailleurs, c’est le père Lavale qui parlait tout à l’heure ; ce n’est pas Restif. Pour Restif, quand c’est lui qui parle, « la librairie est un état égal à l’avocat et au notaire. » Rien n’est « bas, » rien n’est « vil, » tout est « honnête, » et tout doit devenir « honorable. » — « Il pourrait se trouver quelqu’un qui me reprocherait la prétendue bassesse de mes personnages. Le corps de la nation n’est pas vil, voilà nia réponse. Les marchands, les artisans, les artistes ne sont pas vils : ils sont considérables, estimables, importans, utiles, nécessaires, indispensables. Il est bon d’en occuper les citoyens qui lisent, de les habituer à considérer cette partie des membres de l’Etat comme des êtres absolument semblables à eux[2]. » Et en note : « Il est incontestable qu’il y a des gens à Paris, dans le XVIIIe siècle, qui traitent certaines conditions de viles ! Qui sera vil ? Le laboureur, le maçon, le couvreur, le charpentier, le tailleur, le cordonnier ? Non, ces gens-là ne sauraient être vils ; car rien de nécessaire n’est vil. Qui donc sera vil ? Je le sais bien : celui qui les trouve vils. » Et encore : « A mes yeux, toutes les conditions sont remplies par des hommes, quoi qu’en disent MM. les ducs, les marquis, les comtes et les barons, et toutes sont dignes d’être observées ; mais on m’a reproché d’être bas dans le choix de mes personnages. Je dois me laver de cette inculpation, et voici ma

  1. La Fille du savetier du coin, dans les Contemporaines du commun, édition Assézat, p. 41.
  2. Les Contemporaines du commun, édition Assézat, préambule.